Le temps est l'expression de la finitude, de la mortalité et de l'impuissance de l'homme le condamnant à une courte vie dans un temps irréversible que l'on ne peut ni ralentir, ni accélérer, ni arrêter, dont les effets irrémédiables du vieillissement, de la mort et de l'oubli le condamnent à son humaine condition. Blaise Pascal exprimait bien cet état quand il affirmait que « Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt... C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse ».
I - Un bonheur propre à notre mortelle condition : quête du plaisir et absence de douleur
- La conscience du temps provoque une fuite dans les plaisirs éphémères dans le but d'être heureux
Le temps conditionne le cours de la vie humaine et son aspiration au bonheur contrariée car il suscite des pensées angoissantes quant au devenir. La mort génère une souffrance mentale, une crainte de l'inévitable liée à la conscience du temps car le malheur peut survenir à tout moment. Etre heureux pourrait signifier vivre dans cette conscience du temps et limiter les plaisirs ou au contraire tenter d'échapper à ces maux quotidiens en fuyant grâce à des plaisirs éphémères. Le temps est la source de notre misère humaine et l'homme peut inventer mille luxes et artifices pour tenter d'être heureux, en vain. Il n'aura que les plaisirs propres à sa condition mortelle, se faire des amis, vivre de bons moments, se faire de merveilleux souvenirs, "Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur " selon les mots d' Alfred de Musset. Mais l'homme n'aura que ce petit bonheur sans pour autant prévenir la maladie, l'infortune, la mort. Des plaisirs synonymes de bonheur inscrits dans un temps source de la misère humaine et de la précarité de sa vie. Etre du temps, c'est avoir le droit à un bonheur éphémère fait de plaisirs divers qui ne durent jamais dans l'irréversibilité d'un temps qui exprime également le malheur dans le temps.
- c'est parce que je suis un être temporel que j'existe heureux par ma quête de plaisirs
Un petit bonheur toujours fugace est le seul semble t-il que l'on puisse qualifier de bonheur puisque rien ne dure. Je crains l'avenir, je porte le poids de mon passé et mon présent me torture car il sera bientôt passé me rendant impuissant, sans emprise et pourtant c'est parce que je suis un être temporel que j'existe heureux par ma quête de plaisirs car il n'y a pas d'autre signification assignée à la recherche du plaisir que celui de trouver le bonheur. C’est pourquoi Sigmund Freud propose cette définition simple dans son Malaise dans la civilisation : « Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique ». Synonyme de sensation temporaire et limitée, l'impression d'être heureux laisse pour Freud, toujours place à des sensations de malheur. Dans son ouvrage Malaise dans la civilisation, Freud met l'accent sur les moyens d'éviter la souffrance, plutôt que les conditions d'accès au bonheur. Il recommande ainsi la médecine comme remède aux problèmes du corps, le détachement des biens matériels pour réduire les influences négatives du monde extérieur et dans le but de gérer la souffrance, il préconise, le yoga, l'amour et la religion.
Dans sa Lettre à Ménécée, Epicure rend le bonheur accessible à condition de satisfaire les désirs naturels et nécessaires en vivant dans l'instant présent. Un hédonisme qui ne se confond pas avec une quête effrénée des plaisirs car le sage doit viser l'ataraxie, absence de trouble de l'âme et l'aponie, l'absence de douleur pour le corps. Synonyme d'équilibre atteint le bonheur du sage est un juste milieu pour le corps et l'esprit. Il n'y aurait pas de bonheur sans plaisirs pour Epicure qui n'est pas pour autant une fin en soi mais seulement un moyen d'atteindre le bonheur.
Cependant l'hédonisme plus subtil, plus dans les limites de nos besoins naturels permet à l'homme d'associer son bonheur au plaisir et à l'absence de douleur. Ainsi L'homme peut être heureux à condition de sélectionner les désirs sans multiplier tous les plaisirs possibles faisant de l'Epicurisme un hédonisme associé à une philosophie ascétique, être plus heureux en réduisant nos plaisirs.
- Rien ne dure, c'est pourquoi on peut tenter d'être heureux en vivant pleinement le présent, " Carpe Diem ", cueille le jour, profite de l'instant présent.
Enfermé dans une existence éphémère dans laquelle tout est fugace, l'homme s'efforce de rendre chaque instant plus intense, plus unique, plus précieux en l'appréciant dans le temps présent plutôt que de le fuir en se projetant sans cesse dans le futur ou en regrettant le passé. Etre heureux fait écho au Carpe diem dont la signification de cette locution latine du poète Horace nous invite à un mode de vie épicurien. Carpe diem quam minimum credula postero, ce qui peut-être traduit par "cueille le jour présent sans te soucier du jour suivant ". Cette locution n'appelle pas à jouir du moment présent en prenant le plus de plaisir possible mais propose une recherche du bonheur plutôt que du plaisir offrant ainsi une vision plus sage qu'hédoniste. C'est en effet en modifiant notre rapport au temps que nous pouvons être heureux, " cueillir le jour " signifie vivre pleinement l'instant présent car c'est le seul temps qui existe vraiment. Le passé n'est plus et le futur pas encore. Evitons donc les regrets, la culpabilité, la haine, la rancune ou l'attente, l'espoir... pour ne pas passer à côté du présent, seule vérité à saisir pour vraiment vivre et être heureux dans une vie présente, authentique. L'acceptation, "Mieux vaut prendre les choses comme elles viendront", selon Horace est une manière d'être heureux dans l'instant présent, seul instant de vérité quand rien ne dure.