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Corrigé HLP 2024 en ligne. Expressions de la sensibilité. Anna de Noailles, La Vie profonde. Les annales des épreuves de spécialité

Le 27/05/2024 0

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Les corrigés du bac HLP 2024

Sujets HLP bac 2024 jour 1

Sujet en lien avec le programme HLP 
 La recherche de soi (Du romantisme au XXe siècle)
Les expressions de la sensibilité

 

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Hlp 2024 jour 1 Amérique du nordHlp 2024 jour 1 Amérique du nord (386.51 Ko)

 

Sujet jour 1   :
Anna de Noailles, Le cœur innombrable, « La vie profonde » (1901)

 

  • Première partie :
  • En quoi ce poème exprime-t-il une présence sensible au monde ?
  • interprétation littéraire
  • Deuxième partie :
  • essai philosophique
  • Selon vous, la nature est-elle le seul moyen d’éveiller notre sensibilité ?

Sujets corrigés sur

 

Sujets HLP bac 2024 jour 2

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HLP 2024 Amérique du nord jour 2HLP 2024 Amérique du nord jour 2 (385.1 Ko)

 

  • Sujet  :
  • Friedrich NIETZSCHE, Le Gai Savoir (1882)
  • Première partie :
  • interprétation philosophique
  • Comment l’auteur défend-il dans ce texte « le nouveau », contre l’opinion commune ?
  • Deuxième partie :
  • essai littéraire
  • Selon vous, le « goût du neuf, du risqué, de l’inessayé » suffit-il à définir le rôle de l’écrivain ou de l’artiste ?

Première partie : En quoi ce poème exprime-t-il une présence sensible au monde ? interprétation littéraire

Le cœur innombrable, « La vie profonde » 

Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains.

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace.

Sentir, dans son cœur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
— S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...

Anna de Noailles
 

     "J'ai besoin de cet arbre pour me dire qui je suis", "prendre le large vers moi-même", "dire le monde. Et l'aimer". Ce constat d'Hélène Dorion à propos de son recueil Mes forêts invite le lecteur à l'écoute bienveillante du chant de la nature en s'éveillant au regard du monde des forêts en se laissant guider par les odeurs, les formes, les couleurs, les associations d'images et de mots car les forêts s'ouvrent " comme une fenêtre " et deviennent intimes, il faut donc chercher à les contempler du dedans.  Cette poésie de l'intime fait écho à celle d'Anna de Noailles car elle est l'expression des fluctuations de l'âme, c'est une poésie de l'intime au sens d'une ouverture au monde dans la révélation de sa propre appartenance. " La Vie profonde " raconte une histoire, celle des hommes. La poésie suppose l'attention portée à la nature, véritable miroir des états d'âme du poète, expression de notre présence sensible au monde. Elle permet de nous interroger sur le sens de l'existence et de nous révéler notre rapport au monde par les liens qui nous unissent. La " Vie profonde " doit nous faire ressentir notre présence sensible dans une manière d'être et de vivre.

Le Coeur innombrable, un recueil d'Anna de Noailles, femme de lettres française d'origine roumaine, imprégnée de la poésie romantique en date de 1901, une ode à la nature et à l'expérience sensorielle. 

" La Vie profonde " est une poésie en alexandrins composée de quatre quatrains révélatrice d'un lyrisme passionné pour la nature dans une proximité harmonieuse avec l'homme, une fusion sensorielle jusqu'à l'osmose. 

En quoi ce poème exprime-t-il une présence sensible au monde ?
 

I - La poésie exprime la présence sensible de l'homme au monde 
⦁    1 - Identification de l'homme à la nature jusqu'à l'intime pour se fondre en elle 
⦁    2 - Le poète appréhendre le monde, il est contemplatif par " une âme qui rêve ", assis " au bord du monde ". 
⦁    3 - Osmose, communion spirituelle avec la nature qu'il tente de comprendre 
II - Le poète ancré dans le monde construit par sa présence sensible son rapport au monde : il y trouve sa source de vie, sa vitalité dans une renaissance et son inspiration
⦁    1 - La nature est source d'émotions et de sensations 
⦁    2 - Elle révèle une présence sensible au monde dans un nouveau souffle, une vitalité et une renaissance 
⦁    3 - Source d'inspiration, elle nous révèle au monde par sa beauté nourrissant ainsi la création poétique
III - Cette poésie porte un regard sur le monde et l'homme 
⦁    1 - Le poète rêveur, contemplatif du monde restitue l'harmonie du monde par sa sensibilité particulière
⦁    2 - La poésie est l'expression de toutes les âmes
⦁    3 - Le travail de création 

I - La poésie exprime la présence sensible de l'homme au monde 
1 - Identification de l'homme à la nature jusqu'à l'intime pour se fondre en elle 

- Passage de la comparaison à la métaphore
⦁    " Etre dans la nature ainsi qu'un arbre humain, 
⦁    Etendre ses désirs comme un profond feuillage " 
⦁    " Être le jour qui monte et l'ombre qui descend ". 
La poésie s'ouvre sur un verbe à l'infinitif " Etre dans la nature " associant la nature humanisée, " un arbre humain ", vers 1 à l'homme végétalisé au second vers, ses désirs s'apparentent en comparaison à un " profond feuillage ". La puissante connexion entre l'homme et le monde est d'une telle symbiose que ses désirs s'étendent telles les branches de l'arbre. L'enracinement de l'arbre fait écho à celui de l'homme, enchevêtrés, l'un à l'autre ainsi que le suggère l'adjectif qualificatif épithète " profond " évoquant la vie profonde, titre du poème, pour suggérer l'indistinction de la vie humaine et celle de la nature.  L'homme fait l'expérience d'une communion à travers l'arbre jusqu'à la symbiose. 
2 - Le poète appréhendre le monde, il est contemplatif par " une âme qui rêve ", assis " au bord du monde ". 
Double ouverture au monde, la contemplation favorise l'activité onirique  par le " rêve " donc l'évasion, l'imaginaire et celle d'une âme ancrée dans l'univers devenu refuge :
" Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise... " 
 Par la contemplation, le poète ancré dans le monde, rêve et l'explore, il se fait " voyant " par sa présence sensible, il capte un au-delà, se fait " rêveur sacré " pour s'élever " à la réalité du monde, " au réel " et en sonder les  mystères. La sensibilité pour guide, il appréhende l'univers qu'il s'approprie, qu'il déchiffre pour s'y perdre en communion. 
3 - Osmose, communion spirituelle avec la nature qu'il tente de comprendre au sens d'une exploration au coeur du monde 
La communion n'est pas que sensuelle mais spirituelle, l'homme en cherche les vérités essentielles tout en laissant cours à son imaginaire, il rêve le monde pour en percer les mystères non pas rationnellement mais empiriquement : 
" — S'élever au réel et pencher au mystère, "
Les synesthésies font correspondre les cinq sens et élèvent à la compréhension de notre rapport au monde : le toucher par " ses mains ", l'odorat, "sentir", " les rayons du soleil " en évocation de la fusion charnelle entre la nature et le monde. " goûter " et " boire " connotent le goût, tandis que la vue est transcrite par l'abondance des couleurs évoquée "Pourpre ", " couleur de cerise ". L'ouïe enfin pourrait trouver sa correspondance dans le verbe " tourbillonner " et l'élément " vent ". 

 

II - Le poète ancré dans le monde construit par sa présence sensible son rapport au monde : il y trouve sa source de vie, sa vitalité dans une renaissance et son inspiration
1 - La nature est source d'émotions et de sensations 

Les désirs évoqués au vers 2
" Étendre ses désirs comme un profond feuillage, " 
s'enrichissent de " la joie et de la douleur " en antithèse.
L'essence de la poésie est la recherche d'une correspondance entre la nature et l'homme, le sens de la vie et ses correspondances secrètes en donnant à l'homme le sentiment d'une identité entre la nature et lui, les sensations sont tel le reflet de l'âme. La nature est l'expérience la vie qui révèle les liens cachés de l'univers : 
L'expérience sensorielle s'associe au goût par la présence des deux verbes à l'infinitif, elle est universelle et mêle les " embruns ", élément naturel, aux " pleurs " évocateurs de l'humain : 
" Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur "
Nombreux sont les termes connotant la sensualité : 
" désirs ", " sentir ", " les mains ". 
2 - Elle révèle une présence sensible au monde dans un nouveau souffle, une vitalité et une renaissance 
La nature en source de vitalité favorise la renaissance de l'homme ainsi que le suggère l'image de l'argile ou de la sève du vers 4 :
" La sève universelle affluer dans ses mains. "
3 - Source d'inspiration, elle nous révèle au monde par sa beauté nourrissant ainsi la création poétique
" Le pourpre soir aux couleurs de cerise " 
Une large place est laissée aux sensations : la vue avec une insistance sur les couleurs. 
 

III - Cette poésie porte un regard sur le monde et l'homme 
1 - Le poète rêveur, contemplatif du monde restitue l'harmonie du monde par sa sensibilité particulière

La nature identifiée aux forces de vie comprend les quatre éléments. Les dénominations sont diverses pour restituer l'isotopie de la vie visant à honorer la nature : " Nuit paisible ", " orage ", " la sève ", " soleil ", " l'air ", " feu ", " sang ", " vent ", " terre ", " jour ", " l'ombre ", " flamme ", " l'eau ", " l'aube. 
Toutes les forces de la nature sont évoquées, l'immensité, le temps cyclique, le retour du même, " La nuit ", " le jour qui monte ", " l'ombre qui descend ", " soir ", " l'aube ", l'éternité dans son opposition à la finitude de l'homme. 
2 - La poésie est l'expression de toutes les âmes
Anna de Noailles pense notre rapport au monde et notre humaine condition. La poétesse se fait mage et guide, à l'image des autres hommes ainsi que le suggère la " sève universelle " : 
" La sève universelle affluer dans ses mains "
3 - Le travail de création 
Le poète rêveur, contemplatif du monde restitue l'harmonie du monde par sa sensibilité particulière : l'origine grecque de la poésie qui signifie "faire " dans le sens de fabriquer fait du poète un artisan qui fabrique un objet, le poème. Il devient créateur du monde " au bord du monde " son regard est celui de l'univers et de l'homme. 
En tant que fabrique du langage, la poésie porte un regard particulier et plus profond sur l'homme et le monde par ses sonorités, ses images, son pouvoir de suggestion. 
 

     Ainsi, la nature, reflet de l'âme, en thème privilégié permet l'expression de la sensibilité en révélant une présence sensible au monde par les émotions, les sensations...
La poésie identifie l'homme à la nature jusqu'à l'intime pour se fondre en elle, contemplative, ancrée dans le monde, Anna de Noailles l'appréhende dans une communion spirituelle. Nous avons vu en outre qu'elle trouvait dans cet ancrage sa source de vie, sa vitalité, son inspiration et sa renaissance, tout en portant un regard sur le monde et l'homme en faisant de la poésie, le chemin à suivre. 
L'écriture poétique pourrait être également la réponse à la question du chaos du monde dans un projet de lecture en lien avec Mes forêts, Hélène Dorion nous ouvre sur une poésie "Avant la nuit " qui fait sens intimement par la réparation de soi et celle des hommes. 
 

Autre interprétation littéraire possible : 

Dans ce poème extrait du recueil Le Cœur innombrable, Anna de Noailles déploie une vision poétique où l'être humain se fond dans la nature pour y exprimer une intense présence sensible au monde. Ce texte, par son langage imagé et ses évocations sensorielles, révèle une communion profonde entre l’individu et les éléments naturels. Le poème met en scène une expérience sensorielle totale, qui témoigne de la capacité du poète à ressentir le monde dans toute sa plénitude.

Elle y développe une vision poétique où l'individu s'immerge dans l'univers naturel, fusionnant avec les éléments pour exprimer une présence au monde à la fois physique, sensorielle et spirituelle. À travers une série d'images évocatrices et de métaphores puissantes, la poétesse montre comment l'homme, en étendant ses désirs et en ressentant intensément son environnement, devient un reflet de la nature elle-même.

1. La fusion de l'être humain avec la nature

Le poème s'ouvre sur une métaphore puissante qui lie l'être humain à un élément naturel : « Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain, / Étendre ses désirs comme un profond feuillage ». Ici, Noailles ne présente pas simplement l'homme en contact avec la nature, mais comme faisant partie intégrante de celle-ci. L'image de l'arbre symbolise à la fois la stabilité, la croissance et l'enracinement dans le monde, tandis que le « profond feuillage » des désirs traduit la complexité et l'intensité de la vie intérieure de l'individu. Cette métaphore évoque une extension des désirs humains à l'échelle de la nature, où chaque branche et chaque feuille deviennent des manifestations des aspirations et des émotions de l'individu.

L'intensité de cette fusion est renforcée par la sensation de la « sève universelle » qui « afflue dans ses mains ». Cette image incarne une connexion vitale entre l'être humain et la nature, suggérant que l'énergie qui circule dans les arbres — la sève — est la même qui nourrit l'âme humaine. Par l'évocation de la « nuit paisible » et de l’« orage », Noailles souligne la réceptivité de l'individu aux influences de la nature, qu'elles soient calmes ou tumultueuses. L'homme ressent la nature avec une acuité telle qu'il en capte les moindres vibrations, ce qui en fait un être profondément en harmonie avec le monde qui l'entoure.

2. L'expérience sensorielle et émotionnelle

La présence sensible au monde se manifeste également à travers une riche expérience sensorielle. Noailles écrit : « Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face, / Boire le sel ardent des embruns et des pleurs ». Ces vers évoquent une immersion totale dans les éléments naturels, où le corps humain est en contact direct avec le soleil, le sel, et même les émotions traduites par les « pleurs ». L'utilisation du verbe « boire » suggère une absorption complète de ces éléments, comme si l'homme se nourrissait de la nature et des sensations qu'elle procure. Cette interaction intime avec les forces de la nature traduit une présence au monde caractérisée par une pleine conscience des sensations physiques.

Noailles ne se contente pas de décrire des sensations agréables ; elle inclut également la « joie » et la « douleur », qu'elle présente comme des expériences indissociables de l’existence humaine. Ces émotions sont décrites comme une « buée humaine dans l'espace », une image poétique qui illustre la nature éphémère et diffuse des sentiments. Cette métaphore suggère que la vie humaine, bien que fugace, laisse une empreinte, une trace sensible dans l'univers. En intégrant ces éléments contradictoires, Noailles montre que la présence au monde implique une ouverture à toutes les expériences, qu'elles soient agréables ou douloureuses.

3. La méditation poétique au bord du monde

La dimension spirituelle de cette présence sensible au monde est particulièrement marquée dans les derniers vers du poème : « S’élever au réel et pencher au mystère, / Être le jour qui monte et l’ombre qui descend ». Ici, Noailles traduit l'idée que l'existence humaine oscille entre le tangible et l'inconnu. L'homme est simultanément attiré par la réalité concrète (« s’élever au réel ») et par les aspects plus mystérieux de l'existence (« pencher au mystère »). Cette dualité reflète une quête de sens, une tentative de comprendre l'univers en s'ouvrant à ses différentes dimensions.

Le poème se conclut sur une image de contemplation et de sérénité : « Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise ». Cette métaphore finale incarne l'idée d'une présence au monde qui n'est pas seulement active et sensorielle, mais aussi méditative. L'âme, « au bord du monde assise », est dans une posture de réflexion, observant le monde tout en restant en retrait, comme pour mieux en saisir l’essence. Noailles suggère ici que la véritable compréhension du monde passe par une forme de détachement, où l'âme peut rêver et contempler l'univers sans se laisser submerger par lui.

Conclusion : Une présence au monde totale et profonde

En conclusion, le poème "Être dans la nature..." exprime une présence sensible au monde à travers une immersion totale de l'être humain dans la nature. Anna de Noailles utilise des images puissantes et des métaphores pour traduire cette fusion avec les éléments naturels, où les sensations physiques, les émotions et la spiritualité se rejoignent pour former une expérience humaine complète. La poétesse invite ainsi à une compréhension de la nature non seulement comme un cadre extérieur, mais comme une partie intégrante de l'existence humaine, où chaque élément résonne avec l'âme et les désirs de l'individu. Par cette exploration poétique, Noailles parvient à capter la beauté complexe et fugace de la vie, enracinée dans le monde tout en s'élevant vers l'infini.

 

 

Deuxième partie :

essai philosophique Selon vous, la nature est-elle le seul moyen d’éveiller notre sensibilité ?

La sensibilité, définie comme la capacité à ressentir profondément le monde et à répondre de manière émotionnelle et intellectuelle aux stimuli extérieurs, est souvent perçue comme étant intimement liée à la nature. De nombreux penseurs, poètes et philosophes ont exalté la nature comme un lieu privilégié pour l’éveil des sens et de l'esprit. Cependant, est-elle le seul moyen de développer cette sensibilité, ou d'autres domaines tels que l'art, la culture et les interactions humaines peuvent-ils également jouer un rôle crucial ? Cet essai propose d'examiner cette question en s'appuyant sur des références littéraires et philosophiques, en explorant d'abord la nature comme source fondamentale de sensibilité, puis en élargissant l'analyse à d'autres domaines qui contribuent à l'éveil de notre sensibilité.

1. La nature comme source fondamentale de sensibilité

La nature a été célébrée à travers les âges comme une source primordiale de sensibilité. Jean-Jacques Rousseau, dans ses œuvres comme Les Rêveries du promeneur solitaire ou Émile ou De l’éducation, soutient que la nature est le cadre idéal pour développer une sensibilité authentique. Selon Rousseau, l’homme, corrompu par la société, retrouve sa pureté originelle et sa capacité à ressentir en se reconnectant à la nature. La nature, pour Rousseau, est un lieu d'authenticité où l'individu peut éprouver des émotions vraies, non filtrées par les conventions sociales : « Il est plus doux de vivre avec ses semblables, mais il est moins dangereux de vivre seul ; au milieu des hommes, la corruption est inévitable, mais au sein de la nature, on ne peut que s'améliorer. » (Émile, livre V).

Cette vision est également partagée par les poètes romantiques, qui voient dans la nature une source d'inspiration et d'éveil des émotions profondes. William Wordsworth, dans Tintern Abbey, célèbre la capacité de la nature à éveiller une « émotion raffinée », un sentiment de connexion spirituelle qui transcende les préoccupations matérielles : « La nature n'a jamais trahi le cœur qui l'aimait ». La nature, dans ce contexte, est un lieu de contemplation où l'esprit humain s'éveille à des vérités profondes sur l'existence et la beauté du monde.

Anna de Noailles, dans le poème « Être dans la nature... » du recueil Le Cœur innombrable, exprime une fusion totale de l’être humain avec la nature, où l’individu devient un « arbre humain », ressentant la « sève universelle » affluer dans ses mains. Ce poème incarne l'idée que la nature est non seulement une source d'éveil sensoriel, mais aussi une expérience mystique et existentielle qui nourrit la sensibilité humaine.

2. Les arts et la culture comme d’autres vecteurs d’éveil de la sensibilité

Bien que la nature soit une source inépuisable de sensibilité, elle n’est pas exclusive. Les arts et la culture offrent également des moyens puissants d'éveiller et de développer notre sensibilité. Marcel Proust, dans À la recherche du temps perdu, montre comment la littérature, la musique et les arts visuels peuvent susciter des émotions intenses et profondes. Par exemple, la sonate de Vinteuil dans Du côté de chez Swann devient un catalyseur de souvenirs et d'émotions pour le personnage de Swann, révélant la capacité de la musique à transcender le temps et à éveiller une sensibilité fine aux nuances de l'existence.

De même, dans Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire montre comment l'art peut révéler les beautés cachées du monde et éveiller la sensibilité à travers l'exploration des contrastes entre le beau et le laid, le sacré et le profane. Baudelaire invite ses lecteurs à une perception aiguë de la réalité, où chaque détail, même le plus trivial, peut devenir source d'émotion et de réflexion. « Le poète est semblable au prince des nuées / Qui hante la tempête et se rit de l'archer » écrit-il dans L'Albatros, illustrant comment l'artiste, en s'élevant au-dessus du quotidien, développe une sensibilité particulière qui lui permet de saisir la beauté là où d'autres ne voient que banalité.

Littérature, musique, peinture et autres formes d'art constituent donc des moyens puissants de cultiver la sensibilité humaine, en nous offrant des perspectives nouvelles sur le monde et en nous engageant émotionnellement et intellectuellement.

3. Les interactions sociales et l’engagement éthique comme vecteurs de sensibilité

En plus de la nature et des arts, nos relations humaines et notre engagement éthique jouent un rôle crucial dans l'éveil de notre sensibilité. Emmanuel Levinas, philosophe du XXe siècle, développe l'idée que la rencontre avec l'autre est au cœur de notre sensibilité morale. Pour Levinas, le visage de l'autre, avec son expression de vulnérabilité, nous interpelle et suscite en nous une responsabilité éthique. Cette relation à autrui, fondée sur la reconnaissance de l'humanité partagée, est une source profonde de sensibilité morale. Elle nous pousse à ressentir de la compassion, de l'empathie, et à agir de manière éthique : « Le visage parle. Il parle, et il est en cela qu'il rend possible et commence tout discours » (Éthique et Infini).

L’engagement social et politique, quant à lui, peut également éveiller une sensibilité accrue aux injustices et aux souffrances du monde. Par exemple, dans Les Misérables de Victor Hugo, l'auteur montre comment la conscience des inégalités sociales et la souffrance humaine peuvent transformer l'individu en un être sensible aux causes sociales. Jean Valjean, à travers son parcours de rédemption, devient un personnage emblématique de la sensibilité éthique, dont les actions sont guidées par une profonde empathie pour les opprimés.

De plus, les mouvements sociaux pour la justice climatique ou les droits de l'homme nous confrontent à des réalités mondiales qui exigent une sensibilité accrue à l'égard des autres et du monde naturel. Ces engagements montrent que la sensibilité ne se limite pas à une simple contemplation de la nature ou des œuvres d'art, mais qu'elle peut aussi se manifester dans l'action concrète et la défense des valeurs éthiques.

Conclusion : Une pluralité de moyens d’éveil de la sensibilité

En conclusion, la nature est indéniablement une source privilégiée d’éveil de la sensibilité, comme en témoignent les réflexions de Rousseau, Wordsworth, et Noailles. Cependant, elle n'est pas la seule. Les arts, la culture, les relations humaines et l'engagement éthique constituent également des voies importantes pour développer et approfondir notre sensibilité. Cette pluralité de moyens montre que la sensibilité humaine est complexe et multiforme, se nourrissant de différentes expériences pour former une perception du monde riche et nuancée. La nature, les arts, et l'éthique agissent en synergie pour éveiller en nous des réponses émotionnelles et intellectuelles qui nous rapprochent de la compréhension et de l’appréciation de la vie dans toute sa profondeur et sa diversité.

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