Les Caractères de Jean de La Bruyère et les Maximes de François de La Rochefoucauld sont deux œuvres majeures de la littérature morale du XVIIe siècle, qui partagent des préoccupations communes tout en se distinguant par leurs approches respectives de l'analyse des mœurs. Ces deux œuvres se rejoignent dans leur volonté de dénoncer les vices et les faiblesses humaines, mais diffèrent par la structure de leurs écrits et leur conception de la condition humaine.
1. Une volonté commune de dénoncer les vices humains
Les deux auteurs partagent une vision pessimiste de la nature humaine. Chez La Rochefoucauld, cette vision est dominée par l’idée que l’égoïsme et l’amour-propre dirigent les actions humaines. Ses Maximes sont de courtes sentences qui mettent en lumière les motivations cachées derrière les comportements humains. Selon lui, « L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs. » Tout acte, aussi noble soit-il en apparence, est guidé par des intérêts personnels.
La Bruyère, dans ses Caractères, adopte une approche similaire en dénonçant l'hypocrisie, l'avidité et la vanité de ses contemporains. Cependant, La Bruyère se distingue en offrant des portraits détaillés de personnages types, dans lesquels il illustre les travers sociaux. Son approche plus descriptive lui permet d’offrir une satire des comportements humains dans un cadre précis, comme la cour, tandis que La Rochefoucauld reste davantage sur le plan de la généralité philosophique.
2. La structure et le style : des formes littéraires distinctes
Une des différences majeures entre ces deux œuvres réside dans leur forme. Les Maximes sont des aphorismes brefs, percutants, qui donnent une impression de concision et d’universalité. Par exemple, « La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées, que le hasard fait découvrir. » Ce style fragmentaire est adapté à la réflexion morale de La Rochefoucauld, qui cherche à dégager des vérités générales sur l’homme.
La Bruyère, en revanche, utilise un style beaucoup plus narratif et illustratif dans ses Caractères. En développant des portraits de personnages, il offre une réflexion sur les types sociaux et les comportements. Ses descriptions des hypocrites ou des avares, par exemple, plongent le lecteur dans un univers visuel où l’on reconnaît des comportements familiers, souvent ridicules. La richesse de son style descriptif et son ironie permettent à La Bruyère d’explorer les mœurs de manière plus concrète et nuancée que ne le fait La Rochefoucauld.
3. L’analyse du comportement humain : universalité / particularité
La Rochefoucauld, en axant ses Maximes sur l'amour-propre, dépeint une vision plus froide et universelle de la condition humaine. Ses réflexions sur la vanité, l'amitié ou encore l'hypocrisie visent à révéler les vérités cachées derrière les comportements apparemment altruistes. La célèbre maxime : « Il n'y a point d'éloges auxquels l'amour-propre ne nous fasse aspirer, et même le plus grand est de n'en point paraître sensible » illustre bien cette croyance dans le caractère fondamentalement intéressé des actions humaines.
La Bruyère, pour sa part, s’intéresse davantage à la diversité des caractères humains. S'il partage avec La Rochefoucauld une vision critique de l’amour-propre et de l’hypocrisie, il s’attache aussi à montrer les nuances dans les comportements individuels. Ses portraits de courtisans, de riches ou de faux savants offrent une palette de comportements spécifiques à chaque milieu social. La Bruyère cherche ainsi à illustrer la manière dont les caractères humains s’expriment dans des contextes sociaux concrets, tandis que La Rochefoucauld s’attache davantage à des vérités abstraites et universelles.
4. Le rôle de la morale
Les deux auteurs se rejoignent dans leur démarche morale, qui consiste à pointer les vices pour amener à une forme de prise de conscience. Cependant, La Rochefoucauld adopte une posture plus désillusionnée : il semble croire que l’homme est irrémédiablement guidé par l’amour-propre et qu’il ne peut échapper à cette condition. En revanche, La Bruyère, bien que critique, laisse place à une dimension éducative. Ses Caractères visent, à travers la satire, à corriger les comportements et à encourager une forme de vertu par la prise de conscience des travers sociaux.
Conclusion
En somme, La Rochefoucauld et La Bruyère partagent un même objectif : dénoncer les travers humains. Cependant, là où La Rochefoucauld propose une réflexion concise et universelle sur la condition humaine à travers ses Maximes, La Bruyère choisit une approche plus littéraire et descriptive dans ses Caractères, peignant des portraits vivants et nuancés. Tandis que La Rochefoucauld met en lumière la constance de l’amour-propre, La Bruyère montre la variété des caractères humains et la manière dont ceux-ci se manifestent dans la société.