Comprendre un texte
le trio gagnant Fond / Forme / Sens
Pour réussir un commentaire, il faut comprendre une chose essentielle :
le sens d’un texte naît du mélange entre ce que l’auteur dit et la façon dont il le dit.
C’est exactement la logique du Quoi / Comment / Pourquoi :
Quoi ? = le fond → ce que tu repères dans le texte.
Comment ? = la forme → les procédés qui permettent de créer cet effet.
Pourquoi ? = le sens → ce que ça veut dire, ce que l’auteur cherche à montrer.
En articulant constamment Quoi ? (l’idée), Comment ? (le procédé) et Pourquoi ? (l’effet, l’interprétation), on montre que l’on comprend que la littérature est un art du langage, où chaque choix d’écriture construit un sens. C’est cette articulation fine qui permet d’élaborer un commentaire pertinent, cohérent et véritablement littéraire.
Commentaire littéraire
A Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Domo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recueillaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d'un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derrière leurs tréteaux avec l'œil plissé du commerçant aux aguets. La foule se pressait, lentement, comme si elle avait décidé de passer en revue tous les poissons, regardant ce que chacun proposait, jugeant en silence du poids, du prix et de la fraîcheur de la marchandise. Les femmes du quartier remplissaient leur panier d'osier, les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui. On s'observait d'un trottoir à l'autre. On se saluait parfois. L'air du matin enveloppait les hommes d'un parfum de mer. C'était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu'avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille récompense? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux. Les hommes et les femmes passaient devant les étals avec le respect de celui qui reçoit. En ce jour, encore, la mer avait donné. Il serait peut-être un temps où elle refuserait d'ouvrir son ventre aux pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans les filets, ou maigres, ou avariés. Le cataclysme n'est jamais loin. L’homme a tant fauté qu'aucune punition n'est à exclure. La mer, un jour, les affamerait peut-être. Tant qu'elle offrait, il fallait honorer ses présents. Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule.
Eldorado, Laurent Gaudé
Exercice
Appliquons la méthode du quoi/comment/pourquoi
Faire l'axe I et ses trois sous parties
Axe 1
Une description réaliste et sensorielle du marché
- Un ancrage spatial et olfactif puissant
- L’abondance concrète et visuelle des poissons
- Une scène humaine animée et sociale
Méthode du commentaire :
QUOI / COMMENT / POURQUOI
La règle est simple :
À chaque idée, dans chaque sous-partie, tu dois répondre à ces trois questions dans cet ordre.
C’est la garantie d’avoir un commentaire analytique et non une simple paraphrase.
1. QUOI ? → Ce que dit le texte (idée + citation)
Tu identifies le sens littéral, l’information, l’idée exprimée dans l’extrait.
Exemples :
Le texte montre l’abondance du marché.
Le narrateur décrit l’attitude respectueuse du peuple.
La mer apparaît comme une puissance nourricière.
Le “quoi” = constater ce que le texte dit ou montre.
Tu ajoutes une citation courte, au cœur de l’idée (pas une citation trop longue).
2. COMMENT ? → Les procédés et la manière d’écrire
Tu analyses les outils d’écriture qui permettent de produire cet effet ou ce sens.
→ Figures de style : métaphore, comparaison, personnification…
→ Registres : épique, lyrique, tragique…
→ Construction des phrases, champs lexicaux, rythme, sons…
Exemples :
L’expression « offrande » relève du vocabulaire religieux.
La personnification « la mer refuserait d’ouvrir son ventre » donne à la mer une volonté propre.
L’hyperbole « des centaines de poissons » souligne l’abondance.
Le “comment” = observer comment l’auteur crée l’effet.
3. POURQUOI ? → Ce que ça produit, l’effet, la signification profonde
C’est la partie la plus importante et celle qu’on oublie le plus.
Ici, tu expliques pourquoi l’auteur écrit de cette manière, ce que ça révèle à l’échelle du texte ou de l’œuvre.
Exemples :
Cela transforme un marché banal en scène sacrée, révélant la relation quasi religieuse entre les pêcheurs et la mer.
Cela fait de la mer un personnage, montrant la dépendance du peuple à son égard.
Cela inscrit Piracci dans un univers qui interroge la frontière entre destin et culpabilité.
Le “pourquoi” = interpréter, donner du sens, relier à la problématique.
I. Une description réaliste et sensorielle du marché
1. Un ancrage spatial et olfactif puissant
Le texte s’ouvre sur une phrase immédiatement évocatrice : « le pavé des ruelles du quartier du Domo sentait la poiscaille ».
— Le mot familier « poiscaille » ancre d’emblée la scène dans un univers populaire, concret, et déclenche une sensation olfactive très forte.
— La mention topographique « quartier du Domo » crée un cadre précis, identifiable, presque touristique.
2. L’abondance concrète et visuelle des poissons
La description insiste sur la quantité : « des centaines de poissons morts », « les thons et les espadons ».
— Le pluriel massif (« centaines ») et le lexique hyperbolique donnent une impression d’abondance.
— Les poissons « faisaient briller le soleil de midi », métaphore visuelle où les écailles réfléchissent la lumière : effet scintillant, presque esthétique.
— Le geste des hommes qui vident les poissons « d’un geste sec » rappelle un travail quotidien maîtrisé.
3. Une scène humaine animée et sociale
Le narrateur décrit la foule avec précision : « La foule se pressait, lentement », « On s'observait d'un trottoir à l'autre ».
— Le rythme lent traduit une habitude, une sorte de déambulation tranquille.
— La diversité des personnages (« femmes du quartier », « jeunes gens ») révèle un lieu de sociabilité.
— Les interactions discrètes (« On se saluait parfois ») plantent un décor communautaire.
La méthode du quoi, comment, pourquoi a-t-elle été respectée?
Un ancrage spatial et olfactif puissant
QUOI ?
Tu décris ce que dit le texte :
« le pavé… sentait la poiscaille » → information littérale.
On est dans le « quartier du Domo ».
Tu constates : le texte ancre la scène dans un lieu précis + une odeur très forte.
COMMENT ?
Tu identifies les procédés :
« poiscaille » = registre familier.
« quartier du Domo » = précision toponymique.
POURQUOI ?
Tu expliques ce que ça signifie :
Le terme familier crée un univers populaire, réaliste.
La localisation précise donne une atmosphère typiquement sicilienne.
On comprend que Gaudé cherche un ancrage très concret pour introduire la scène.
L’abondance concrète et visuelle des poissons
QUOI ?
Tu constates :
Il y a « des centaines de poissons morts », et beaucoup d’espèces nommées.
COMMENT ?
Tu analyses les procédés :
hyperbole : « centaines »
accumulation : « les thons et les espadons »
métaphore : « faisaient briller le soleil »
POURQUOI ?
Tu interprètes :
L’hyperbole souligne l’abondance → marché foisonnant.
La métaphore donne un effet esthétique → beauté paradoxale d’un univers pourtant trivial.
Le geste « sec » traduit une maîtrise quotidienne → naturalise la scène.
Cette abondance transforme le décor en spectacle visuel, presque cérémoniel.
Une scène humaine animée et sociale
QUOI ?
Décrire ce que le texte montre :
Une foule : « La foule se pressait lentement »
Des interactions : « On s’observait… on se saluait ».
COMMENT ?
Procédés analysés :
rythme lent → « lentement »
diversité lexicale → « femmes du quartier », « jeunes gens »
verbes pronominaux (« on s’observait, on se saluait »)
POURQUOI ?
Interprétation :
Le marché est un lieu de sociabilité, de lien communautaire.
La lenteur crée une ambiance quotidienne, pacifique.
On sent une communauté soudée.
Le marché devient un espace humain vivant, pas seulement un décor.
Exercice
Appliquons la méthode du quoi/comment/pourquoi
Faire l'axe II et ses trois sous parties
II. Une transformation du marché en scène sacrée
- La mer comme entité donatrice
- Le peuple dans une attitude de respect religieux
- Le rôle central de la mer : puissance nourricière mais capricieuse
II. Une transformation du marché en scène sacrée
1. La mer comme entité donatrice
Le texte glisse vers le registre religieux :
— « C’était comme si les eaux avaient glissé de nuit… laissant… les poissons en offrande » : comparaison sacrée, vision magique.
— Le mot « offrande » appartient au vocabulaire du rituel.
— Le narrateur suggère que les habitants ne savent pas « ce qu’ils ont fait pour mériter pareille récompense » : idée d’un don immotivé, proche de la grâce divine.
2. Le peuple dans une attitude de respect religieux
Les habitants avancent « avec le respect de celui qui reçoit ».
— Le marché devient un lieu de cérémonie où l’on honore ce qui est donné.
— Le ton se fait solennel : « il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer ».
— La mer est personnifiée, dotée d’émotions et de volonté comme une divinité antique.
3. Le rôle central de la mer : puissance nourricière mais capricieuse
Le lexique de la générosité se mêle à celui de la menace :
— « Tant qu’elle offrait, il fallait honorer ses présents » → relation d’échange sacré.
— « Elle refuserait d’ouvrir son ventre », métaphore qui assimile la mer à une mère mais aussi à une puissance qui peut se fermer et punir.
— Le registre du mythe et du destin se renforce.
La méthode du quoi, comment, pourquoi a-t-elle été respectée?
II - Une transformation du marché en scène sacrée
- 1 - La mer comme entité donatrice
QUOI ? (constat)
Tu montres que le texte transforme la mer en force qui donne, qui offre :
« les poissons en offrande »
« pareille récompense »
Tu constates : la mer apparaît comme une donatrice.
COMMENT ? (procédés)
Tu identifies les outils qui créent cet effet :
vocabulaire religieux : offrande, récompense
comparaison : « comme si les eaux avaient glissé de nuit »
ton merveilleux / magique
POURQUOI ? (interprétation)
Tu expliques ce que ça signifie :
la mer prend un statut quasi divin
les habitants reçoivent comme une grâce
le marché devient un espace sacralisé
Tu interprètes : la scène dépasse le réel, elle entre dans le symbole.
2. Le peuple dans une attitude de respect religieux
QUOI ?
Tu constates le comportement du peuple :
Ils avancent « avec le respect de celui qui reçoit »
Ils ne veulent pas « mécontenter la mer »
Le texte montre : le peuple adopte une attitude sacrée.
COMMENT ?
Tu identifies les procédés :
lexique religieux : « respect, reçoit »
ton solennel
personnification de la mer (« mécontenter »)
POURQUOI ?
Tu interprètes :
Les habitants ne consomment pas les poissons : ils les honorent.
La mer devient une divinité susceptible d’être offensée.
Le marché est présenté comme un rituel, pas un commerce.
Tu montres que Gaudé crée une dimension quasi religieuse, une communion entre les hommes et la mer.
3 - Le rôle central de la mer : puissance nourricière mais capricieuse
QUOI ?
Tu constates :
la générosité : « elle offrait »
la menace : « elle refuserait d’ouvrir son ventre »
Donc : la mer donne mais peut reprendre.
COMMENT ?
Tu identifies les procédés :
métaphore du ventre → assimilation à une mère
opposition générosité/menace
registre mythique et tragique
POURQUOI ?
Tu interprètes :
La mer incarne une force supérieure, ambivalente.
Les hommes vivent sous sa dépendance.
Gaudé installe un climat de destin, de fatalité.
Tu montres que la mer est au cœur du rapport de l’homme au monde — fondamental dans Eldorado, qui traite du passage, de la frontière et du destin.
Exercice
Appliquons la méthode du quoi/comment/pourquoi
Faire l'axe III et ses trois sous parties
III. La menace latente : une méditation sur la fragilité humaine
- L’ombre du cataclysme
- Un peuple coupable : vision morale et pessimiste
- L’entrée du commandant Piracci : figure d’observateur
III. La menace latente : une méditation sur la fragilité humaine
1. L’ombre du cataclysme
Le narrateur affirme : « Le cataclysme n’est jamais loin ».
— Phrase brève, sentencieuse, qui sonne comme un oracle.
— Le terme « cataclysme » évoque autant les tempêtes que les tremblements de terre — fréquents en Sicile.
2. Un peuple coupable : vision morale et pessimiste
« L’homme a tant fauté qu’aucune punition n’est à exclure. »
— Le narrateur adopte un ton prophétique : la nature réagit aux fautes humaines.
— On retrouve la structure biblique faute → châtiment.
3. L’entrée du commandant Piracci : figure d’observateur
Le texte se clôt sur une présence humaine particulière :
« Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles lentement ».
— Son titre (« commandant ») le distingue des autres personnages.
— Son pas lent le rend réceptif à cette atmosphère quasi mystique.
— Il ne domine pas la scène : il s’y fond, signalant peut-être une prise de conscience ou une contemplation.
La méthode du quoi, comment, pourquoi a-t-elle été respectée?
III. La menace latente : une méditation sur la fragilité humaine
1. L’ombre du cataclysme
QUOI ? (ce que dit le texte)
Tu constates que Gaudé introduit une menace :
« Le cataclysme n’est jamais loin »
Le texte dit clairement : un désastre naturel peut frapper à tout instant.
COMMENT ? (comment cela est dit)
Tu identifies les procédés :
phrase courte → effet d’énoncé prophétique
adjectif « jamais loin » → inquiétude constante
mot « cataclysme » → évocation des catastrophes siciliennes (séismes, éruptions, raz-de-marée)
POURQUOI ? (ce que cela signifie)
Tu interprètes :
cette phrase sonne comme un oracle, elle place les habitants sous une menace permanente ;
ce climat d’angoisse renforce l’idée d’un monde fragile, où tout dépend des forces naturelles ;
cela donne une tonalité tragique : la mer qui donne peut aussi détruire.
2 - Un peuple coupable : vision morale et pessimiste
QUOI ?
Tu constates le message :
« L’homme a tant fauté » → l’humanité est coupable.
Le texte établit une responsabilité morale des hommes.
COMMENT ?
Procédés repérés :
ton prophétique / biblique
schéma religieux : faute → punition
hyperbole morale : « tant fauté »
POURQUOI ?
Interprétation :
Gaudé ne montre pas une catastrophe neutre, mais une punition possible ;
la nature devient juge, comme dans les mythes antiques ;
dans Eldorado, cette culpabilité résonne avec les fautes liées aux frontières, à la souffrance des migrants, à l’aveuglement du monde.
Le texte invite à réfléchir à la responsabilité humaine face aux catastrophes, qu’elles soient naturelles ou morales.
3 - L’entrée du commandant Piracci : figure d’observateur
QUOI ?
Tu observes : le texte introduit un personnage clé du roman, Piracci :
« déambulait… lentement »
Il apparaît comme un simple marcheur, intégré dans la foule.
COMMENT ?
Procédés repérés :
son titre « commandant » → autorité
verbe « déambuler » → lenteur, contemplation
rythme calme → contraste avec le danger évoqué juste avant
POURQUOI ?
Interprétation :
Piracci est à un moment charnière du roman : il commence à regarder, à observer le monde différemment ;
son attitude contemplative annonce son questionnement moral qui structurera tout Eldorado ;
en se fondant dans la foule, il cesse d’être seulement un représentant de l’autorité maritime : il devient un homme parmi les autres, vulnérable face aux forces du monde.
L’entrée de Piracci clôt la scène en montrant que cette méditation sur la fragilité ne concerne pas seulement le peuple : elle prépare l’évolution intérieure du commandant.
Commentaire intégralement rédigé
Le texte proposé, extrait d’Eldorado de Laurent Gaudé, plonge le lecteur dans l’atmosphère d’un marché au poisson en pleine activité. À travers une description très sensorielle et presque sacrée, le narrateur transforme cette scène réaliste en un véritable rite de relation entre les hommes et la mer, puissance nourricière mais aussi menaçante. La foule, les pêcheurs et même le commandant Salvatore Piracci semblent participer à une cérémonie collective où l’on honore des dons qui pourraient s’interrompre à tout moment. Sous l’apparente trivialité du marché, le texte révèle un rapport spirituel, presque mythique, qui lie un peuple au cycle naturel dont il dépend.
Problématique :
Comment cet extrait transforme-t-il la simple description d’un marché au poisson en une scène quasi rituelle fondée sur un équilibre fragile entre l’homme et la mer ?
Pour répondre à cette question, on verra d’abord que le texte propose une description réaliste, vivante et sensorielle d’un marché traditionnel. Puis on montrera comment cette scène est élevée à une dimension sacrée, la mer apparaissant comme une divinité capricieuse. Enfin, on analysera comment cette atmosphère rituelle révèle la fragilité de la condition humaine, soumise aux forces naturelles, avant l’entrée discrète mais significative du commandant Piracci.
I. Une description réaliste et sensorielle du marché
1. Un ancrage spatial et olfactif puissant
Le texte s’ouvre sur une phrase immédiatement évocatrice : « le pavé des ruelles du quartier du Domo sentait la poiscaille ».
— Le mot familier « poiscaille » ancre d’emblée la scène dans un univers populaire, concret, et déclenche une sensation olfactive très forte.
— La mention topographique « quartier du Domo » crée un cadre précis, identifiable, presque touristique.
2. L’abondance concrète et visuelle des poissons
La description insiste sur la quantité : « des centaines de poissons morts », « les thons et les espadons ».
— Le pluriel massif (« centaines ») et le lexique hyperbolique donnent une impression d’abondance.
— Les poissons « faisaient briller le soleil de midi », métaphore visuelle où les écailles réfléchissent la lumière : effet scintillant, presque esthétique.
— Le geste des hommes qui vident les poissons « d’un geste sec » rappelle un travail quotidien maîtrisé.
3. Une scène humaine animée et sociale
Le narrateur décrit la foule avec précision : « La foule se pressait, lentement », « On s'observait d'un trottoir à l'autre ».
— Le rythme lent traduit une habitude, une sorte de déambulation tranquille.
— La diversité des personnages (« femmes du quartier », « jeunes gens ») révèle un lieu de sociabilité.
— Les interactions discrètes (« On se saluait parfois ») plantent un décor communautaire.
II. Une transformation du marché en scène sacrée
1. La mer comme entité donatrice
Le texte glisse vers le registre religieux :
— « C’était comme si les eaux avaient glissé de nuit… laissant… les poissons en offrande » : comparaison sacrée, vision magique.
— Le mot « offrande » appartient au vocabulaire du rituel.
— Le narrateur suggère que les habitants ne savent pas « ce qu’ils ont fait pour mériter pareille récompense » : idée d’un don immotivé, proche de la grâce divine.
2. Le peuple dans une attitude de respect religieux
Les habitants avancent « avec le respect de celui qui reçoit ».
— Le marché devient un lieu de cérémonie où l’on honore ce qui est donné.
— Le ton se fait solennel : « il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer ».
— La mer est personnifiée, dotée d’émotions et de volonté comme une divinité antique.
3. Le rôle central de la mer : puissance nourricière mais capricieuse
Le lexique de la générosité se mêle à celui de la menace :
— « Tant qu’elle offrait, il fallait honorer ses présents » → relation d’échange sacré.
— « Elle refuserait d’ouvrir son ventre », métaphore qui assimile la mer à une mère mais aussi à une puissance qui peut se fermer et punir.
— Le registre du mythe et du destin se renforce.
III. La menace latente : une méditation sur la fragilité humaine
1. L’ombre du cataclysme
Le narrateur affirme : « Le cataclysme n’est jamais loin ».
— Phrase brève, sentencieuse, qui sonne comme un oracle.
— Le terme « cataclysme » évoque autant les tempêtes que les tremblements de terre — fréquents en Sicile.
2. Un peuple coupable : vision morale et pessimiste
« L’homme a tant fauté qu’aucune punition n’est à exclure. »
— Le narrateur adopte un ton prophétique : la nature réagit aux fautes humaines.
— On retrouve la structure biblique faute → châtiment.
3. L’entrée du commandant Piracci : figure d’observateur
Le texte se clôt sur une présence humaine particulière :
« Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles lentement ».
— Son titre (« commandant ») le distingue des autres personnages.
— Son pas lent le rend réceptif à cette atmosphère quasi mystique.
— Il ne domine pas la scène : il s’y fond, signalant peut-être une prise de conscience ou une contemplation.
Ce texte propose bien plus qu’une simple description pittoresque d’un marché sicilien : il élève une scène quotidienne au rang de rituel communautaire, où la mer apparaît comme une divinité nourricière et exigeante. Par un jeu subtil de sensations, de personnifications et d’images sacrées, le narrateur révèle combien la vie humaine dépend d’un équilibre fragile avec les forces naturelles. L’entrée discrète du commandant Piracci ouvre la perspective vers une intrigue plus vaste, dans laquelle cette relation à la mer pourrait jouer un rôle central.
On pourrait comparer cette scène à d’autres œuvres où la mer devient une puissance ambiguë, à la fois protectrice et destructrice — par exemple dans Le Vieil Homme et la mer d’Hemingway ou dans les descriptions maritimes de Giono (L’Homme qui plantait des arbres évoque un même rapport sacré à la nature). Comme ici, la nature y apparaît comme une force morale qui juge, donne ou retire.