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Second soir, Entretiens sur la pluralité des mondes, études linéaire et littéraire. Fontenelle au bac 2026

Le 25/08/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Second soir

 

Etude linéaire

 

Que la Lune est une terre habitée Second soir

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J'ai une pensée très ridicule, qui a un air de vraisemblance qui me surprend ; je ne sais où elle peut l'avoir pris, étant aussi impertinente qu'elle est. Je gage que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu'il pourra y avoir un jour du commerce entre la Terre et la lune. Remettez-vous dans l'esprit l'état où était l'Amérique avant qu'elle eût été découverte par Christophe Colomb. Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême. Loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas les arts les plus simples et les plus nécessaires. Ils allaient nus, ils n'avaient point d'autres armes que l'arc, ils n'avaient jamais conçu que des hommes pussent être portés par des animaux ; ils regardaient la mer comme un grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au-delà duquel il n'y avait rien. Il est vrai qu'après avoir passé des années entières à creuser le tronc d'un gros arbre avec des pierres tranchantes, ils se mettaient sur la mer dans ce tronc, et allaient terre à terre portés par le vent et par les flots. Mais comme ce vaisseau était sujet à être souvent renversé, il fallait qu'ils se missent aussitôt à la nage pour le rattraper et, à proprement parler, ils nageaient toujours, hormis le temps qu'ils s'y délassaient. Qui leur eût dit qu'il y avait une sorte de navigation incomparablement plus parfaite qu'on pouvait traverser cette étendue infinie d'eaux, de tel côté et de tel sens qu'on voulait, qu'on s'y pouvait arrêter sans mouvement au milieu des flots émus, qu'on était maître de la vitesse avec laquelle on allait, qu'enfin cette mer, quelque vaste qu'elle fût, n'était point un obstacle à la communication des peuples, pourvu seulement qu'il y eût des peuples au-delà, vous pouvez compter qu'ils ne l'eussent jamais cru. Cependant voilà un beau jour le spectacle du monde le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux. De grands corps énormes qui paraissent avoir des ailes blanches, qui volent sur la mer, qui vomissent du feu de toutes parts, et qui viennent jeter sur le rivage des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils veulent de monstres qui courent sous eux, et tenant en leur main des foudres dont ils terrassent tout ce qui leur résiste. D'où sont-ils venus ? Qui a pu les amener par-dessus les mers ? Qui a mis le feu en leur disposition ? Sont-ce les enfants du Soleil ? car assurément ce ne sont pas des hommes. Je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi dans la surprise des Américains ; mais jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le monde. Après cela je ne veux plus jurer qu'il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la Lune et la Terre. Les Américains eussent-ils cru qu'il eût dû y en avoir entre l'Amérique et l'Europe qu'ils ne connaissaient seulement pas ? Il est vrai qu'il faudra traverser ce grand espace d'air et de ciel qui est entre la Terre et la Lune ; mais ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ? En vérité, dit la Marquise en me regardant, vous êtes fou. Qui vous dit le contraire ? répondis-je.

 

Dans les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), Fontenelle cherche à rendre accessibles les grandes théories scientifiques modernes, en particulier celles de l’astronomie, tout en adoptant un ton léger et agréable. Le philosophe imagine un dialogue avec une Marquise curieuse de science. Dans ce passage du Second soir, Fontenelle s’interroge sur l’hypothèse audacieuse d’un commerce entre la Terre et la Lune. Pour convaincre son interlocutrice de ne pas rejeter une idée apparemment extravagante, il recourt à une comparaison historique : la rencontre entre les Européens et les Américains lors des grandes découvertes.
On peut alors se demander : comment Fontenelle rend-il vraisemblable une hypothèse a priori absurde ?

  • (De « J’ai une pensée très ridicule… » à « vous pouvez compter qu’ils ne l’eussent jamais cru. ») → Fontenelle part d’une hypothèse jugée « ridicule » et la rend progressivement plausible grâce à une comparaison avec l’ignorance des Américains avant la découverte de Colomb.
  • (De « Cependant voilà un beau jour… » à « jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le monde. ») → Description vivante et dramatique de la rencontre entre Européens et Américains : l’effet de surprise est amplifié pour justifier l’imprévisible.
  • (De « Après cela je ne veux plus jurer… » à la fin) → Renversement argumentatif : puisque l’impossible est déjà advenu, il faut rester ouvert aux hypothèses les plus audacieuses, même le commerce avec la Lune.

Bac 2026

1. Hypothèse absurde mais rendue vraisemblable (début → « jamais cru »)

« J’ai une pensée très ridicule » : autoportrait d’un philosophe audacieux, qui feint de s’accuser de folie → stratégie de captatio benevolentiae.

« commerce entre la Terre et la Lune » : image frappante qui mêle le vocabulaire économique au champ cosmique, concrétisant une idée abstraite.

L’exemple historique : comparaison avec l’Amérique avant Colomb. Les Américains apparaissent dans leur ignorance primitive :

absence de sciences et même « des arts les plus simples », insistance sur leur nudité, leurs armes rudimentaires.

champ lexical de la privation et de la pauvreté → « ignorance extrême », « ils n’avaient jamais conçu », « il n’y avait rien ».

Par cette analogie, Fontenelle montre que l’incroyable (communication Europe-Amérique) s’est réalisé ; il est donc logique de ne pas rejeter l’idée d’un commerce Terre-Lune.

Procédé rhétorique : raisonnement par analogie et anticipation des objections (« Qui leur eût dit… vous pouvez compter qu’ils ne l’eussent jamais cru »).

2. Une scène dramatique et spectaculaire (→ « jamais… pareille dans le monde »)

« Cependant voilà un beau jour » : tournure narrative qui introduit le récit comme une épopée.

Description frappante de l’arrivée des Européens :

Les navires sont perçus comme des monstres ailés (« de grands corps énormes… des ailes blanches »).

Effet de merveilleux et de fantastique : métaphores (« vomissent du feu », « écaillés de fer ») qui transforment les navires et les soldats en créatures surnaturelles.

Les armes à feu deviennent des « foudres », donnant une dimension mythologique aux Européens assimilés à des dieux ou aux « enfants du Soleil ».

Ce récit suscite la stupeur et la terreur : Fontenelle cherche à mettre le lecteur à la place des Américains.

Ainsi, l’auteur prouve que ce qui semblait impossible peut arriver soudainement, de manière imprévisible et grandiose.

Bac 2026

3. Renversement argumentatif et relativisation du possible (→ fin)

Transition claire : « Après cela je ne veux plus jurer… ». Le ton devient léger, presque désinvolte, mais l’argument est fort : puisque l’incroyable s’est déjà produit, l’impossible ne doit pas être exclu.

Parallèle explicite : Amérique/Europe ↔ Terre/Lune. Ce qui est arrivé une fois (la découverte d’un nouveau monde) peut se reproduire à une autre échelle.

« ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ? » : question rhétorique qui clôt le raisonnement avec force logique.

Enfin, l’échange avec la Marquise (« vous êtes fou » / « Qui vous dit le contraire ? ») ramène le texte à sa tonalité dialoguée et mondaine :

touche d’humour,

auto-ironie de Fontenelle qui reconnaît la folie apparente de son audace, tout en laissant au lecteur la tâche d’en apprécier la logique.

Ce passage du Second soir illustre la méthode de Fontenelle : partir d’une hypothèse extravagante pour amener le lecteur à réfléchir. À travers une analogie historique frappante (la découverte de l’Amérique), l’auteur montre que l’impossible d’hier peut devenir le réel de demain. Le ton mêle rigueur argumentative, vivacité descriptive et humour, ce qui rend la science séduisante et proche du lecteur.
→ Ouverture : cette démarche illustre l’esprit des Lumières, qui ose repousser les frontières du savoir et invite à douter des limites apparentes de la raison humaine.

 

 

Commentaire littéraire 

 

Fontenelle, dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), cherche à rendre accessibles les découvertes scientifiques à un public cultivé mais non spécialiste, en adoptant un ton léger et agréable. Dans le Second soir, il imagine une hypothèse audacieuse : un commerce entre la Terre et la Lune. Cette idée, a priori extravagante, est rendue plausible par l’auteur grâce à des stratégies argumentatives et stylistiques efficaces.
Problématique : Comment Fontenelle, par le style et l’argumentation, rend-il vraisemblable une idée absurde et capte-t-il l’attention de son lecteur ?

Bac 2026

Partie I – L’audace raisonnée : rendre crédible l’extravagance scientifique

Autodérision et captatio benevolentiae : Fontenelle commence par se présenter comme audacieux mais prudent (« J’ai une pensée très ridicule »), séduisant ainsi le lecteur tout en anticipant ses objections.

Mise en image d’un concept abstrait : Le « commerce entre la Terre et la Lune » transforme un concept cosmique en image concrète, facilitant la compréhension et stimulant l’imagination.

Appui sur l’histoire pour légitimer l’improbable : L’analogie avec la découverte de l’Amérique montre que l’extraordinaire peut se produire. Le champ lexical de la privation et de l’émerveillement (« ignorance extrême », « il n’y avait rien ») renforce la plausibilité de l’analogie.

Partie II – L’effet spectaculaire : séduire par la narration et la description

Récit épique et immersif : L’ouverture narrative (« Cependant voilà un beau jour ») transforme l’argumentation en récit vivant, captivant le lecteur.

Effets de merveilleux et de fantastique : Les Européens apparaissent comme des créatures surnaturelles (« vomissent du feu », « écaillés de fer »), intensifiant l’impression d’événement improbable mais possible.

Émotion et stupeur partagées : En plaçant le lecteur dans la position des Américains émerveillés, Fontenelle utilise la vivacité descriptive pour rendre crédible ce qui semblait impossible.

Partie III – La relativisation du possible et l’humour philosophique

Renversement argumentatif : « Après cela je ne veux plus jurer » illustre la conclusion logique : l’impossible peut devenir possible, invitant à l’ouverture d’esprit.

Parallèle explicite Terre/Lune – Europe/Amérique : L’analogie souligne que ce qui est arrivé une fois peut se reproduire à une autre échelle, renforçant la cohérence de l’argumentation.

Humour et complicité dialoguée : L’échange avec la Marquise (« vous êtes fou » / « Qui vous dit le contraire ? ») introduit une légèreté qui humanise la science et rapproche le lecteur, tout en consolidant la persuasion.

Fontenelle démontre que l’extravagant peut être rendu crédible grâce à un mélange d’audace raisonnée, de narration spectaculaire et d’humour mondain. L’analogie historique et le style captivant permettent au lecteur d’accepter l’improbable comme une possibilité.
Ouverture : Cette méthode illustre l’esprit des Lumières, qui combine curiosité, esprit critique et imagination, et se retrouve dans des œuvres comme Micromégas de Voltaire, où l’exploration scientifique et l’humour servent à élargir les perspectives du lecteur.

 

Notes : 

Références bibliographiques :

Fontenelle, Bernard Le Bouyer de, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686, Seconde partie, "Second soir". Édition classique : Garnier-Flammarion, 1965.

Définitions et notions littéraires :

Captatio benevolentiae : stratégie rhétorique consistant à séduire le lecteur ou l’interlocuteur en début de discours, souvent par l’auto-dénigrement ou l’humour.

Raisonnement par analogie : procédé qui consiste à rapprocher une situation connue d’une situation inconnue afin de rendre cette dernière compréhensible ou plausible.

Effet de merveilleux : utilisation d’éléments surnaturels, fantastiques ou extraordinaires dans le récit pour créer l’étonnement et renforcer l’adhésion du lecteur.

Contexte historique et scientifique :

Découverte de l’Amérique (1492) : événement historique utilisé par Fontenelle pour rendre crédible une hypothèse a priori absurde, en montrant que l’incroyable peut devenir réel.

Astronomie moderne : Fontenelle vulgarise les théories scientifiques de l’époque, notamment celles de Copernic, Galilée et Kepler, dans un langage accessible à un public non spécialiste.

Références comparatives :

Voltaire, Micromégas (1752) : conte philosophique combinant humour et réflexion scientifique, à rapprocher de la démarche de Fontenelle.

Théorie des Lumières : mouvement intellectuel du XVIIIᵉ siècle prônant la raison, l’esprit critique et la diffusion du savoir auprès du plus grand nombre.

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