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Analyse Cinquième soir  Entretiens sur la pluralité des mondes

Cinquième soir, analyses linéaire et littéraire, Entretiens sur la pluralité des mondes, Fontenelle

Le 26/08/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Cinquième soir

 

Etude linéaire 

 

CINQUIEME SOIR: Que les étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun éclaire un monde.

La Marquise sentit une vraie impatience de savoir ce que les étoiles fixes deviendraient. Serontelles habitées comme les planètes ? me dit-elle. Ne le seront-elles pas ? Enfin qu’en ferons-nous ? Vous le devineriez peut-être, si vous en aviez bien envie, répondis-je. Les étoiles fixes ne sauraient être moins éloignées de la Terre que de vingt sept mille six cent soixante fois la distance d’ici au Soleil, qui est de trente-trois millions de lieues et, si vous fâchiez un astronome, il les mettrait encore plus loin. La distance du Soleil à Saturne, qui est la planète la plus éloignée, n’est que trois cent trente millions de lieues; ce n’est rien par rapport à la distance du Soleil ou la Terre aux étoiles fixes, et on ne prend pas la peine de la compter. Leur lumière, comme vous voyez, est assez vive et assez éclatante. Si elles la recevaient du Soleil, il faudrait qu’elles la reçussent déjà bien faible après un si épouvantable trajet; il faudrait que, par une réflexion qui l’affaiblirait encore beaucoup, elles nous la renvoyassent à cette même distance. Il serait impossible qu’une lumière, qui aurait essuyé une réflexion et fait deux fois un semblable chemin, eût cette force et cette vivacité qu’a celle des étoiles fixes. Les voilà donc lumineuses par elles-mêmes, et toutes, en un mot, autant de Soleils. Ne me trompai-je point, s’écria la Marquise, ou si je vois où vous me voulez mener ? M’allez-vous dire: « Les étoiles fixes sont autant de Soleils, notre Soleil est le centre d’un tourbillon qui tourne autour de lui; pourquoi chaque étoile fixe ne sera-t-elle pas aussi le centre d’un tourbillon qui aura un mouvement autour d’elle ? Notre Soleil a des planètes qu’il éclaire, pourquoi chaque étoile fixe n’en aura-t-elle pas aussi qu’elle éclairera ? » Je n’ai à vous répondre, lui dis-je, que ce que répondit Phèdre à Înone: C’est toi qui l’as nommé ». Mais, reprit-elle, voilà l’univers si grand que je m’y perds, je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien. Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres ? Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? Tout cet espace immense qui comprend notre Soleil et nos planètes, ne sera qu’une petite parcelle de l’univers ? Autant d’espaces pareils que d’étoiles fixes ? Cela me confond, me trouble, m’épouvante. Et moi, répondis-je, cela me met à mon aise. Quand le ciel n’était que cette voûte bleue, où les étoiles étaient clouées, l’univers me paraissait petit et étroit, je m’y sentais comme oppressé; présentement qu’on a donné infiniment plus d’étendue et de profondeur à cette voûte en la partageant en mille et mille tourbillons, il me semble que je respire avec plus de liberté, et que je suis dans un plus grand air, et assurément l’univers a toute une autre magnificence. La nature n’a rien épargné en le produisant, elle a fait une profusion de richesses tout à fait digne d’elle. Rien n’est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons, dont le milieu est occupé par un Soleil qui fait tourner des planètes autour de lui. Les habitants d’une planète d’un de ces tourbillons infinis voient de tous côtés les Soleils des tourbillons dont ils sont environnés, mais ils n’ont garde d’en voir les planètes qui, n’ayant qu’une lumière faible, empruntée de leur Soleil, ne la poussent point au-delà de leur monde.

 

 

Ce passage se situe au Cinquième soir des Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) de Fontenelle. Après avoir exploré la Lune, les planètes du système solaire et leurs particularités, la conversation entre le narrateur et la Marquise s’élargit à un horizon bien plus vaste : les étoiles fixes. Celles-ci, généralement vues comme de simples points lumineux, sont ici présentées comme de véritables Soleils, chacun centre d’un « tourbillon » (selon la théorie cartésienne). La perspective cosmologique change radicalement : l’univers cesse d’être clos et limité pour devenir infini et vertigineux.

L’extrait met en évidence :

  • L’argumentation scientifique visant à démontrer que les étoiles brillent par elles-mêmes.
  • L’audace de l’hypothèse d’une infinité de mondes comparables au nôtre.
  • Les effets philosophiques et existentiels de ce vertige cosmique, entre effroi et libération.

Problématique : Comment Fontenelle, à travers ce dialogue, fait-il basculer le lecteur d’une vision familière et rassurante de l’univers vers une représentation infinie et vertigineuse, qui suscite à la fois trouble et émerveillement ?

1. Une démonstration scientifique progressive (du début à « autant de Soleils »)

Le narrateur commence par souligner l’immensité des distances (« vingt-sept mille six cent soixante fois… »), multipliant les chiffres hyperboliques. → Cela crée un effet d’écrasement, rendant sensible l’infini.

Argument logique : si la lumière des étoiles venait du Soleil, elle serait trop affaiblie après un si long trajet pour paraître éclatante (« il serait impossible qu’une lumière… »). → Raisonnement par l’absurde qui conduit à affirmer que les étoiles sont lumineuses par elles-mêmes.

La conclusion est lapidaire, presque triomphale : « Les voilà donc lumineuses par elles-mêmes, et toutes, en un mot, autant de Soleils ». → Le rythme binaire et le ton affirmatif marquent le caractère révolutionnaire de l’idée.

 Ici, Fontenelle vulgarise une hypothèse scientifique en la rendant claire et accessible, tout en suscitant l’admiration.

2. L’élargissement vertigineux de l’univers (de « Ne me trompai-je point » à « je ne suis plus rien »)

La Marquise, interlocutrice curieuse, devine le raisonnement (« M’allez-vous dire… ? »). → Elle anticipe la théorie cartésienne des tourbillons, ce qui montre la pédagogie réussie du narrateur.

L’exclamation « je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien » traduit le vertige métaphysique : l’univers devient infini, l’être humain se sent réduit à l’insignifiance.

L’image des « tourbillons jetés confusément » souligne l’immensité et la multiplicité des mondes. → On passe d’un cosmos ordonné à un espace chaotique et démesuré.

 La Marquise exprime la réaction spontanée du lecteur : effroi et désorientation devant l’infini.

3. De l’effroi à l’admiration : une leçon philosophique (de « Et moi, répondis-je » à la fin)

Le narrateur adopte une position inverse : loin d’être accablé, il se sent « à son aise » et « respire avec plus de liberté ». → Opposition entre oppression de l’univers clos et libération de l’univers infini.

Métaphore de la respiration (« je respire avec plus de liberté ») → l’espace infini n’est plus angoisse mais source d’oxygène intellectuel.

Éloge de la nature : « elle a fait une profusion de richesses tout à fait digne d’elle ». → La grandeur du cosmos devient un hymne à la magnificence de la création.

La description finale (« ce nombre prodigieux de tourbillons… ») offre une vision poétique et harmonieuse : les mondes multiples forment un décor majestueux, même si leurs planètes demeurent invisibles.

 Ainsi, Fontenelle fait passer son lecteur de la peur à l’émerveillement, révélant la dimension philosophique de la vulgarisation scientifique.

Ce passage du Cinquième soir illustre pleinement le projet de Fontenelle : amener son lecteur à élargir son horizon intellectuel et à accepter l’idée vertigineuse de l’infinité des mondes. À travers un dialogue vivant et clair, il combine démonstration scientifique, effets rhétoriques et réflexion existentielle. La Marquise incarne le trouble face à cette démesure, tandis que le narrateur propose une sagesse nouvelle : voir dans l’infini non une menace, mais une source de grandeur et de liberté.

Ouverture : Cette vision annonce les réflexions ultérieures des Lumières sur la relativité de la place de l’homme dans l’univers (cf. Voltaire dans Micromégas), et préfigure l’émerveillement cosmique qui habite encore la pensée moderne et contemporaine face à l’astronomie.

 

Commentaire littéraire 

 

À la fin du XVIIᵉ siècle, le savoir scientifique quitte les cercles savants pour entrer dans les salons. Fontenelle, avec ses Entretiens sur la pluralité des mondes, se situe à la croisée de la science, de la philosophie et de la littérature. Ce dialogue entre un narrateur et une Marquise illustre une double ambition : transmettre les découvertes de l’astronomie moderne et en faire une matière de conversation élégante. Dans l’extrait du Cinquième soir, Fontenelle expose l’idée révolutionnaire selon laquelle les étoiles fixes sont elles-mêmes des soleils entourés de mondes.
Problématique : Comment Fontenelle transforme-t-il un savoir abstrait en une expérience à la fois intellectuelle, existentielle et esthétique ?

I. Une pédagogie de la séduction : la science mise en scène

1. Le cadre mondain de la conversation

Le dialogue avec la Marquise permet d’introduire les idées scientifiques dans un registre accessible, proche de l’esprit des salons. La vivacité des répliques (« Seront-elles habitées comme les planètes ? ») transforme la théorie en échange vif et engageant.

2. La simplification d’un savoir complexe

Fontenelle mobilise des données astronomiques, mais les adapte : les chiffres vertigineux (« vingt sept mille six cent soixante fois la distance d’ici au Soleil ») sont donnés pour frapper l’imagination, non pour assommer de technicité.

3. La rhétorique de l’évidence

L’orateur amène la Marquise à anticiper la conclusion : « C’est toi qui l’as nommé ». La pédagogie consiste à séduire l’esprit, non à l’écraser : l’interlocuteur croit découvrir par lui-même ce que le savant a préparé.

II. Le vertige de l’infini : une révolution anthropologique

1. L’infinité des mondes

La démultiplication des « tourbillons jetés confusément » traduit la perte de repères : l’univers cesse d’être un espace clos pour devenir une immensité sans centre.

2. L’effacement de l’homme

La Marquise traduit l’effet de ce basculement : « je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien ». L’homme se découvre minuscule, relégué dans une « petite parcelle de l’univers ».

3. Une remise en cause de l’anthropocentrisme

L’idée que chaque étoile soit « le centre d’un tourbillon » abolit le privilège de notre Soleil. L’univers se pense désormais comme multiple, décentré, indifférent à notre présence : une révolution qui ébranle l’ancienne cosmologie.

III. Du savoir au sublime : une esthétique de l’infini

1. Un renversement existentiel

Le narrateur oppose son sentiment de libération à l’angoisse de la Marquise : « je respire avec plus de liberté ». L’infini, loin d’opprimer, devient source d’aisance et d’élargissement intérieur.

2. L’univers comme œuvre de la nature

La création apparaît comme une « profusion de richesses », digne de la grandeur de la nature. L’ordre cosmique est perçu comme une œuvre d’art surabondante et généreuse.

3. La poétisation de la science

La description cosmique culmine dans un registre lyrique : « Rien n’est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons ». La démonstration scientifique se mue en contemplation esthétique, proche du sublime pascalien.

Fontenelle réussit à concilier rigueur scientifique, réflexion philosophique et plaisir esthétique. Il introduit le lecteur dans une vision nouvelle de l’univers, qui relativise la place de l’homme tout en exaltant la magnificence de la nature.
Ouverture : Ce texte fait écho aux Essais de Montaigne, qui rappelaient déjà à l’homme la nécessité de mesurer sa petitesse dans l’univers. Mais il annonce aussi Pascal, qui, devant « le silence éternel de ces espaces infinis », éprouve davantage la terreur que l’allégement.

 

 

Commentaire littéraire intégral

 Cinquième soir 

À la fin du XVIIᵉ siècle, la science connaît un mouvement de diffusion sans précédent : les découvertes astronomiques ne restent plus cantonnées aux cercles savants, elles pénètrent dans les salons où se discute l’esprit des Lumières. Fontenelle, dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, incarne cette médiation entre savoir scientifique et culture mondaine. Il dialogue avec une Marquise, alliant pédagogie et conversation élégante, pour exposer des idées révolutionnaires : les étoiles fixes sont des soleils, chacun pouvant être le centre d’un système planétaire.

Dans ce passage, le Cinquième soir, le texte oscille entre la démonstration scientifique et l’expérience existentielle. La Marquise découvre un univers infini, et le narrateur traduit l’émerveillement de cette découverte. On peut alors se demander : comment Fontenelle transforme-t-il un savoir abstrait en une expérience intellectuelle, existentielle et esthétique, qui mêle la pédagogie, la philosophie et le sublime ?

I. Une pédagogie de la séduction : la science mise en scène

Fontenelle fait de la diffusion du savoir un véritable art, conciliant rigueur scientifique et dialogue vivant.

1. Le cadre mondain du dialogue

Le choix d’un échange avec une Marquise, personnage cultivé mais profane en astronomie, permet de présenter les concepts scientifiques sous forme de conversation mondaine. La vivacité des questions et des exclamations de la Marquise (« Seront-elles habitées comme les planètes ? », « Voilà l’univers si grand que je m’y perds ») rend la science concrète et engage le lecteur dans une curiosité partagée.

2. La simplification du savoir complexe

Fontenelle présente des chiffres vertigineux pour montrer l’immensité de l’univers (« vingt sept mille six cent soixante fois la distance d’ici au Soleil »), mais ces nombres servent moins à une exactitude technique qu’à frapper l’imagination. Il transforme la science en expérience sensorielle et intellectuelle : le lecteur comprend l’échelle des distances sans être submergé par la technicité.

3. La rhétorique de l’évidence et la complicité avec le lecteur

L’auteur ne se contente pas d’imposer son savoir : il amène la Marquise à le deviner par elle-même (« C’est toi qui l’as nommé »). La méthode, proche du dialogue socratique, crée une complicité avec le lecteur, qui est invité à découvrir la vérité par étapes, sous la forme d’un raisonnement séduisant.

II. Le vertige de l’infini : une révolution anthropologique

Au-delà de la pédagogie, Fontenelle expose une vision cosmologique qui bouleverse les repères de l’homme.

1. L’infinité des mondes

Les étoiles fixes deviennent autant de soleils, chacun pouvant être le centre d’un tourbillon de planètes (« Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? »). La multiplication des systèmes planétaires fait passer l’univers d’un espace clos à une immensité incommensurable.

2. L’effacement de l’homme

La Marquise exprime l’angoisse liée à cette découverte : « je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien ». La perception de l’univers infini relativise l’importance de l’homme et montre combien la connaissance scientifique peut ébranler les certitudes anthropocentriques.

3. Une remise en cause de l’anthropocentrisme

L’idée que chaque étoile soit le centre de son propre système supprime la centralité de notre Soleil. L’univers n’est plus centré sur l’homme ou la Terre : il devient multiple et décentré. Cette vision illustre un tournant majeur dans l’histoire de la pensée, qui prépare la sensibilité des Lumières à l’échelle de l’infini et à la relativité de l’expérience humaine.

III. Du savoir au sublime : une esthétique de l’infini

Fontenelle ne se limite pas à informer : il sublime l’expérience scientifique, créant un plaisir esthétique et intellectuel.

1. Un renversement existentiel

Le narrateur éprouve un sentiment de libération face à l’infini : « Quand le ciel n’était que cette voûte bleue […] il me semblait oppressé ; présentement […] je respire avec plus de liberté ». L’infini, loin d’être oppressant, ouvre à une contemplation réjouissante et libératrice.

2. L’univers comme œuvre de la nature

La description cosmique met en valeur la richesse et la profusion de la nature : « La nature n’a rien épargné en le produisant, elle a fait une profusion de richesses ». L’univers apparaît comme une création harmonieuse et généreuse, digne d’être admirée et contemplée.

3. La poétisation de la science

Fontenelle mêle science et lyrisme : « Rien n’est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons ». La précision scientifique devient prétexte à l’émerveillement esthétique, unissant raison et imagination dans l’expérience du sublime, proche de ce que Pascal exprimera dans ses Pensées face à l’infini cosmique.

Cet extrait illustre l’originalité de Fontenelle : il combine une pédagogie élégante, une vision philosophique de l’infini et une esthétique du savoir. Il initie le lecteur à la grandeur de l’univers tout en relativisant sa place, sans jamais sacrifier le plaisir intellectuel et poétique. La diffusion des idées scientifiques devient ainsi une expérience émotionnelle et contemplative, inaugurant une nouvelle manière de penser et de sentir le cosmos.

Ouverture : On peut rapprocher cette expérience du sublime cosmique de Fontenelle aux Essais de Montaigne, qui invitaient déjà l’homme à se mesurer à l’univers, mais aussi aux méditations de Pascal sur l’infini, où la contemplation de l’espace provoque l’angoisse et le vertige face à l’insignifiance humaine.

 

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