Françoise de Graffigny
Lettres d’une Péruvienne (1747)

1. Présentation générale
- Auteur : Françoise de Graffigny (1695-1758), femme de lettres française.
- Date de publication : 1747 (grand succès en Europe).
- Genre : roman épistolaire (roman écrit sous forme de lettres).
- Protagoniste : Zilia, jeune Inca enlevée par les Espagnols, sauvée par un Français (Déterville) et exilée en France.
- Destinataire principal : Aza, son fiancé resté au Pérou.
- Le roman épistolaire permet une voix à la première personne qui exprime subjectivement les sentiments, tout en donnant l’impression d’une authenticité (Zilia raconte « en direct » ses découvertes et ses émotions).
2. Intrigue en bref
- Zilia est arrachée à son pays lors de la conquête du Pérou.
- Elle est séparée d’Aza et embarquée en Europe.
- Recueillie en France par Déterville, elle découvre la société française, ses coutumes, ses excès, son injustice.
- Elle observe, compare, critique.
- Elle s’interroge sur les différences culturelles, sur le rôle des femmes, sur l’inégalité sociale et sur les limites du langage.
- À travers cette expérience, Zilia gagne en autonomie et finit par refuser le mariage, qu’il soit avec Aza ou avec Déterville.
3. Les caractéristiques du roman épistolaire
- Écriture à la première personne : expression des émotions immédiates.
- Dimension dialogique : même si les lettres sont surtout à destination d’Aza, le lecteur devient aussi confident.
- Fragmentation narrative : chaque lettre est un fragment du récit et peut contenir une réflexion particulière (ex. : sur le langage, sur les femmes, sur la société).
- Authenticité : l’effet de réel est renforcé par le caractère « privé » de la lettre.
- Liberté de ton : permet de mêler récit, réflexion philosophique, observation sociale, méditation personnelle.
4. Thèmes principaux
- Le choc des cultures :
- Zilia compare la civilisation inca et la société française.
- Elle critique les excès d’une société marquée par le luxe, l’hypocrisie, l’injustice.
- La condition féminine :
- Le roman dénonce l’asservissement des femmes en France.
- Zilia découvre que les femmes européennes n’ont pas de liberté et sont enfermées dans le mariage.
- Le langage et la communication :
- Zilia réfléchit aux limites des langues humaines (lettre XVII).
- Elle valorise les gestes, les chants, les émotions, plus universels que les mots.
- L’amour et l’autonomie :
- Zilia est partagée entre Aza (amour d’enfance, idéalisé) et Déterville (amour réel, mais contraignant).
- Elle refuse l’asservissement amoureux et choisit l’indépendance.
5. Portée philosophique et critique
- Le roman participe de l’esprit des Lumières :
- regard neuf de l’étranger → critique des institutions françaises (religion, justice, mariage).
- valorisation de la raison, de l’expérience sensible et de la liberté individuelle.
- La figure de Zilia illustre la réflexion sur :
- le relativisme culturel (comparer les sociétés permet de remettre en cause ses propres normes),
- la liberté des femmes,
- les limites du langage.
6. Réception et postérité
- Immense succès au XVIIIe siècle, traduit en plusieurs langues.
- Zilia devient une héroïne emblématique : une femme étrangère qui interroge la société française avec lucidité.
- Aujourd’hui, le roman est étudié comme :
- un texte fondateur du féminisme littéraire,
- un exemple de critique sociale par la fiction,
- une variation originale du roman épistolaire (après Lettres persanes de Montesquieu, 1721).
En résumé :
Lettres d’une Péruvienne est à la fois un roman d’apprentissage, une critique sociale et une réflexion philosophique. À travers Zilia, Graffigny interroge les rapports entre les cultures, la place des femmes et les limites du langage, tout en donnant voix à une héroïne étrangère qui choisit l’indépendance.
La fonction de l’écriture épistolaire

1. Donner une illusion de vérité
- La lettre est un texte intime et personnel, qui crée une impression d’authenticité.
- Le lecteur a l’impression de « surprendre » une correspondance privée.
- Effet de réalisme : on croit à la sincérité de la voix qui s’exprime.
- Dans Lettres d’une Péruvienne, la voix de Zilia paraît d’autant plus crédible qu’elle s’adresse à Aza, son fiancé : ses émotions semblent « vraies ».
2. Exprimer les émotions directement
- La lettre permet une écriture à la première personne, qui traduit la subjectivité.
- Elle laisse place aux élans, aux hésitations, aux contradictions intimes.
- Elle donne accès aux sentiments immédiats (amour, peur, colère, nostalgie).
- Zilia exprime son désarroi, ses doutes, ses enthousiasmes face à la société française : on suit son évolution intérieure en temps réel.
3. Varier les registres et les genres
- La lettre est un genre souple : elle peut mêler récit, description, réflexion philosophique, confidence intime.
- Elle permet des changements de ton : pathétique, ironique, argumentatif…
- Elle offre un rythme fragmenté qui garde l’attention du lecteur.
- Dans la lettre XVII, Zilia passe d’un discours théorique sur le langage à une scène romanesque où elle observe un rendez-vous amoureux.
4. Créer un effet de dialogue
- Même si une lettre est un monologue, elle implique toujours un destinataire.
- Cela instaure une dimension dialogique : l’auteur de la lettre anticipe les réactions, répond à un interlocuteur absent.
- Le lecteur est placé dans la position d’un confident : il « prend la place » du destinataire.
- Les apostrophes de Zilia à Aza (« Mon cher Aza ») maintiennent vivant le lien amoureux, mais incluent aussi le lecteur dans l’échange.
5. Permettre une critique indirecte
- La fiction épistolaire permet de porter un regard étranger sur la société française.
- Grâce à la subjectivité d’un narrateur « extérieur », l’auteur dénonce des injustices, des absurdités, des travers sociaux.
- Comme Montesquieu dans les Lettres persanes, Graffigny utilise Zilia pour critiquer le mariage, l’injustice, la condition féminine.
6. Offrir une structure ouverte et fragmentée
- Chaque lettre est un fragment autonome → le roman épistolaire se construit par accumulation.
- Cela permet de multiplier les points de vue, ou d’explorer différents thèmes au fil des lettres.
- Le lecteur est tenu en haleine par les interruptions, les silences, l’attente d’une réponse.
- Dans Lettres d’une Péruvienne, cette fragmentation reflète la progression de Zilia : chaque lettre marque une étape de son apprentissage et de sa prise d’autonomie.
En résumé :
- L’écriture épistolaire a une triple fonction :
- Exprimer (subjectivité, sincérité, émotions)
- Convaincre (réflexions, critiques, arguments)
- Captiver (effet de réel, suspense, intimité partagée).
- C’est ce qui fait du roman épistolaire un genre privilégié au XVIIIe siècle pour les romans de critique sociale et philosophique.
Lettres d'une Péruvienne, Françoise de Graffigny / Un nouvel univers s'est offert à mes yeux