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Lettre XVII – Analyse linéaire & questions de grammaire

Lettre XVII : analyse linéaire et 6 questions de grammaire. Lettres d'une Péruvienne, bac de français 2026

Le 22/08/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Etude linéaire, grammaire

 

Etude linéaire 

 

Lettre XVII : 

De « Il faut, mon cher Aza… »  à « … lorsqu’il nous quitta. »

 

Dans cette lettre adressée à Aza, Zilia poursuit son observation des mœurs européennes et, plus particulièrement, de leur rapport au langage. À la suite d’un spectacle où elle a été émue sans comprendre les paroles, elle réfléchit aux moyens d’expression et met en évidence les limites de la parole humaine par rapport à d’autres formes d’expression plus universelles : cris, chants, gestes. Son propos prend ainsi une tournure philosophique, nourrie par l’expérience sensible. Nous verrons comment cette méditation sur le langage se déploie en trois temps : d’abord la valorisation des sons universels par rapport aux mots, ensuite la démonstration des limites des langues articulées pour exprimer l’émotion, enfin une scène romanesque où l’expression des sentiments passe par les gestes et non par la parole.

Problématique : Comment Graffigny, à travers la voix de Zilia, met-elle en lumière les limites du langage humain et le rôle d’autres formes d’expression plus universelles ?

Plan linéaire 

  • Premier mouvement : l’universalité des sons (de « Il faut, mon cher Aza… » à « … par les chants que j’ai entendus. »)
  • Deuxième mouvement : la supériorité expressive des sons et des gestes (de « S’il est vrai que… » à « … naître qu’imparfaitement. »)
  • Troisième mouvement : une scène romanesque (de « J’en ressentis moi-même… » à « … lorsqu’il nous quitta. »)

 

 

Premier mouvement : l’universalité des sons (de « Il faut, mon cher Aza… » à « … par les chants que j’ai entendus. »)

Dès l’ouverture, Zilia adopte un ton argumentatif et théorique. La tournure injonctive (« Il faut »), associée à l’apostrophe au destinataire (« mon cher Aza »), instaure un cadre démonstratif. L’emploi des connecteurs logiques (« car ») et des tournures impersonnelles donne à ses propos la force d’un discours raisonné.

Sa thèse est claire : les cris et les chants dépassent les mots, car ils s’adressent directement à la sensibilité et touchent tous les hommes, indépendamment des langues et des nations. Zilia s’appuie sur son expérience personnelle : bien qu’elle ne maîtrise pas encore le français, elle a été émue par le spectacle. La réflexion s’ancre ainsi dans le vécu sensible, fidèle à l’esprit empiriste des Lumières.

On relève aussi l’importance de la première personne (« il ne m’a pas été difficile », « cela me paraît naturel »), qui donne à sa méditation une dimension personnelle. Zilia oppose le caractère artificiel du langage — « invention » humaine qui varie selon les « différentes nations » — à l’universalité des sons que la « nature » a donnés à tous. La nature est ainsi valorisée comme une mère bienfaitrice, « plus puissante et plus attentive » que les hommes, selon une construction comparative et rythmée. Mais Zilia nuance son propos : elle reconnaît que l’art peut prolonger la nature. Le chant est perçu comme une imitation réussie des cris, « fort bien imité », ce qui réhabilite la création artistique comme médiation entre nature et culture.

Deuxième mouvement : la supériorité expressive des sons et des gestes (de « S’il est vrai que… » à « … naître qu’imparfaitement. »)

Zilia développe ensuite un raisonnement plus élaboré. Sa réflexion se déploie sur de longues phrases à la syntaxe complexe, signe de son aisance intellectuelle et de ses qualités philosophiques.

Elle souligne que les sons spontanés (cris aigus, gémissements) sont plus efficaces que les paroles pour exprimer des émotions. L’opposition est mise en relief par des comparaisons et par des intensifs : les cris sont « bien plus efficaces » que « l’arrangement bizarre » des mots. L’adjectif « tendre » appliqué aux « gémissements » souligne leur force d’émotion, là où les mots apparaissent comme des constructions artificielles et insuffisantes.

La réflexion se prolonge par l’observation des animaux : leurs « jeux naïfs » expriment immédiatement la joie et l’élan vital, là où la danse humaine n’en offre qu’une imitation « à peu près ». Par ce parallèle, Zilia critique le raffinement excessif des sociétés et valorise une communication instinctive et universelle.

Mais le texte ménage une ambivalence. D’un côté, Zilia semble défendre une vision idéalisée de la nature, qui rejoint le discours des Lumières sur l’état de nature. De l’autre, le lecteur peut garder une distance critique : la valorisation des cris ou des gestes paraît naïve, et Graffigny invite peut-être à réhabiliter les ressources de la parole articulée.

Enfin, ce développement prend un tour plus personnel : Zilia s’interroge indirectement sur les limites de sa propre correspondance. Puisque les mots sont « imparfaits », ne cache-t-elle pas, volontairement ou non, certains de ses sentiments ? Ses lettres à Aza ne sont-elles pas marquées par l’opacité, notamment à propos de Déterville ?

Troisième mouvement : une scène romanesque (de « J’en ressentis moi-même… » à « … lorsqu’il nous quitta. »)

La lettre bascule ensuite vers le récit romanesque. La réflexion philosophique laisse place à une scène vécue, qui introduit une tension narrative. Zilia emploie d’abord une périphrase vague (« un accident qui arriva ») qui suscite l’attente. Le ton se fait pathétique : Zilia et Céline « se soutinrent l’une l’autre », image de la solidarité féminine face aux épreuves.

La rencontre avec « un jeune sauvage » marque un renversement ironique : ce terme, habituellement réservé aux peuples non européens, est appliqué à un Français. Mais l’essentiel tient dans la description des gestes : Céline tremble à l’arrivée de l’homme, puis se retourne « languissamment » lorsqu’il part. Le langage corporel traduit mieux que les mots l’émotion amoureuse : effroi, trouble, attachement.

Graffigny illustre ici, par la narration, la thèse défendue auparavant : les gestes et attitudes communiquent plus directement l’intériorité que les discours. Le roman devient ainsi un espace capable de dépasser les limites du langage, en donnant au lecteur accès à l’émotion à travers le spectacle des corps.

Cette lettre illustre parfaitement l’alliance entre roman et philosophie dans Lettres d’une Péruvienne. À travers Zilia, Graffigny met en question la valeur des langues humaines, jugées imparfaites et artificielles, face aux sons, aux chants et aux gestes, plus universels et spontanés. Le texte oscille entre réflexion théorique et récit romanesque, et suggère que l’art, qu’il soit musical, théâtral ou romanesque, peut pallier les insuffisances du langage pour exprimer les sentiments. Quelques décennies plus tard, Rousseau confirmera cette intuition dans son Essai sur l’origine des langues, en affirmant que la passion fut la véritable origine de la parole.

 

Grammaire

 

Repérez et donnez la nature grammaticale des propositions subordonnées conjonctives circonstancielles 

 1. « Depuis que je sais mes lettres en chemin, mon cher Aza, je jouis d’une tranquillité que je ne connaissais plus. »

  • La subordonnée conjonctive circonstancielle est :
  • « Depuis que je sais mes lettres en chemin »
  • Elle est introduite par la conjonction de subordination « depuis que ».
  • C’est une subordonnée circonstancielle de temps, car elle indique le moment à partir duquel l’action de la principale (« je jouis d’une tranquillité ») se réalise.

2. « Dès qu’il eut fini sa harangue, il se leva pour faire place à la plus jolie d’entre les jeunes filles. »

  •  La subordonnée conjonctive circonstancielle est :
  • « Dès qu’il eut fini sa harangue »
  • Introduite par la conjonction de subordination « dès que ».
  • C’est une subordonnée circonstancielle de temps, car elle marque le moment où l’action de la principale (« il se leva ») se déroule.

Étudiez la syntaxe de la négation dans les phrases suivantes :

1. « Quelle surprise, mon cher Aza, quelle surprise extrême, de ne trouver qu’une résistance impénétrable où je voyais une figure humaine se mouvoir dans un espace fort étendu ! »

  •  Le segment concerné par la négation est :
  • « de ne trouver qu’une résistance impénétrable ».
  • On a une négation composée de « ne… que ».
  • Mais attention : « ne… que » n’exprime pas une négation totale, c’est une négation restrictive.
  • Le sens est équivalent à : « seulement une résistance impénétrable ».
  • Donc, la syntaxe de la négation ici :
  • « ne » est placé devant l’infinitif « trouver ».
  • « que » est placé devant le groupe nominal complément « une résistance impénétrable ».
  • La structure encadre donc le verbe et son complément pour restreindre le sens.
  •  On conclut : il s’agit d’une négation restrictive qui réduit la découverte de Zilia à une seule chose (rien d’autre que de la résistance).

2.  « Jusqu’ici mon cher Aza, tout occupée des peines de mon cœur, je ne t’ai point parlé de celles de mon esprit ; cependant elles ne sont guère moins cruelles. »

  • On rencontre deux négations :
  • « je ne t’ai point parlé de celles de mon esprit »
  • Négation totale : ne… point (équivalent de ne… pas).
  • Syntaxe :
  • « ne » est placé devant l’auxiliaire ai.
  • « point » est placé après le participe passé parlé.
  • Cela signifie : « je ne t’ai pas parlé de celles de mon esprit ».
  • « elles ne sont guère moins cruelles »
  • Négation restrictive atténuante : ne… guère.
  • Valeur : exprime une atténuation proche de la négation (« à peine », « presque pas »).
  • Syntaxe :
  • « ne » est placé devant le verbe sont.
  • « guère » est placé après.
  • Ici, cela signifie : « elles sont presque aussi cruelles ».
  •  Conclusion :
  • On observe deux structures différentes :
  • ne… point (négation forte, totale)
  • ne… guère (négation atténuée, partielle).

Étudiez la syntaxe de l’interrogation dans les phrases suivantes :

1.  « Cette pensée me divertit ; je demandai à Céline si nous étions chez une de ces fées dont elle m’avait fait lire les histoires, où la maîtresse du logis était invisible ainsi que les domestiques. »

La partie interrogative est :
« si nous étions chez une de ces fées… »

Analyse syntaxique :

  • L’interrogation est indirecte : elle dépend du verbe de parole « je demandai ».
  • Elle est introduite par la conjonction « si », qui marque une interrogation totale (réponse possible par oui ou non).
  • Elle prend la forme d’une subordonnée interrogative indirecte.
  • Syntaxe :
  • Sujet : nous
  • Verbe : étions
  • Complément circonstanciel : chez une de ces fées dont elle m’avait fait lire les histoires…
  •  Particularité : dans l’interrogation indirecte, contrairement à l’interrogation directe, il n’y a pas d’inversion du sujet. La structure reste la même qu’une phrase affirmative (nous étions…).
  •  Conclusion : On a ici une interrogation indirecte totale, introduite par si, sans inversion du sujet, insérée comme complément d’objet direct du verbe « demander ».

2. « Aza, mon cher Aza, ne le sauras-tu jamais ? »

  • Analyse de l’interrogation
  • C’est une interrogation directe : la phrase se termine par un point d’interrogation.
  • Elle est totale (réponse possible par oui ou non).
  • Elle est construite avec inversion du sujet :
  • Verbe : sauras
  • Sujet : tu
  • Le pronom objet le est placé avant le verbe (ne le sauras-tu jamais ?).
  • Présence de la négation ne… jamais, qui donne une valeur affective et presque rhétorique à l’interrogation.
  • On est proche d’une interrogation rhétorique : Zilia n’attend pas vraiment une réponse d’Aza, elle exprime son désarroi ou son reproche.
  •  Conclusion : il s’agit d’une interrogation directe, totale, avec inversion du sujet, renforcée par la négation « ne… jamais », qui prend ici une valeur expressive et rhétorique.

 

 

Bac 2026Lettres d'une Péruvienne, Françoise de Graffigny / Un nouvel univers s'est offert à mes yeux 

 

 

Bac 2026Pour aller plus loin 

 

En tant qu’humaniste, Montaigne s’intéresse à l’un des faits marquants de son époque : la découverte du « nouvel univers » et de ses habitants, décrits dans de nombreux récits de voyages. Ces rencontres suscitent de vifs débats sur la nature des Amérindiens, souvent qualifiés de « sauvages », qualification qui sert à justifier les violences des conquérants. Dans le chapitre intitulé Des Cannibales, Montaigne met en lumière certaines qualités de ces peuples tout en comparant la pratique redoutable de l’anthropophagie aux cruautés exercées par les Européens, et notamment à celles perpétrées durant les guerres de religion. En conclusion du chapitre, il raconte sa propre rencontre avec des indigènes et la conversation qu’il entretient avec eux. Ce récit de confrontation des regards prend alors une fonction essentielle : il permet à Montaigne d’illustrer par l’expérience directe la relativité des mœurs, de questionner l’ethnocentrisme européen et d’inviter le lecteur à réfléchir sur la notion de « barbarie ».

Le XVIIIᵉ siècle n’est pas seulement celui des « philosophes » : il est également marqué par de nombreuses découvertes et explorations, comme l’expédition menée par Bougainville (1729-1811). Parti de Nantes en 1766 pour un tour du monde, accompagné d’un naturaliste, d’un dessinateur et d’un botaniste, Bougainville publie en 1771 Voyage autour du monde, qui suscite de nombreux débats, certains reprochant à l’ouvrage l’absence de véritables découvertes.

Un an plus tard, Denis Diderot profite de ce récit pour développer sa propre réflexion philosophique dans le Supplément au voyage de Bougainville (1772), sous-titré Dialogue entre A et B sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas. Cet ouvrage, publié seulement à titre posthume en 1796, utilise le dialogue, genre littéraire cher à Diderot, pour remettre en question plusieurs affirmations de Bougainville, notamment sur la nature morale des indigènes.

Dans le chapitre IX du récit de Bougainville, l’auteur décrit l’accueil réservé par les habitants de Tahiti aux Européens, qui passe de la méfiance à une véritable hospitalité, au point de comparer l’île à un « jardin de l’Éden ». Il mentionne également un vieillard silencieux, dont il interprète « l’air rêveur et soucieux » comme une crainte que « ses jours heureux, écoulés pour lui dans le sein du repos, ne fussent troublés par l’arrivée d’une nouvelle race ». Diderot saisit cette remarque pour donner directement la parole au vieillard dans le chapitre II du Supplément, lui permettant d’adresser ses adieux à Bougainville et d’exprimer son jugement sur la civilisation européenne.

Ainsi, le regard de ce représentant du peuple tahitien conquis offre une perspective critique sur l’Europe, soulignant le contraste entre l’innocence et l’harmonie de son monde et la violence et la domination des Européens. Ce dialogue met en lumière la relativité des valeurs et invite le lecteur à interroger les notions de progrès et de civilisation.

 

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