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Analyse  Lettre XX des Lettres d'une Péruvienne de Graffigny

Lettre XX, analyses linéaire et littéraire. Lettres d'une Péruvienne de Graffigny au bac 2026

Le 22/08/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Analyse lettre XX

 

Commentaire linéaire 

 

Lettre XX

  de "Le gouvernement..." à "... même s'ils vivent."

 

 

Dans cette lettre, Zilia, encore captive mais plus insérée dans la société française, livre à Aza ses observations sur l’organisation politique, sociale et culturelle de l’« Empire » qu’elle découvre. Elle adopte le ton de la réflexion critique, oscillant entre l’indignation morale et l’émerveillement intellectuel, et met en question la légitimité du titre de « siècle des Lumières ».

On peut alors se demander en quoi cette lettre illustre à la fois les idéaux et les limites du siècle des Lumières.

L’extrait se déploie en trois mouvements successifs : une critique de la monarchie et des ordres sociaux, une réflexion sur le poids du jugement d’autrui et le triomphe des apparences, puis enfin l’éloge des livres et une critique de l’inculture contemporaine .

Plan linéaire 

  • Premier mouvement : critique politique et sociale 
  • Deuxième mouvement : la découverte du mépris et du triomphe des apparences 
  • Troisième mouvement : l’éloge des livres et la critique de l’inculture 

Premier mouvement : critique politique et sociale

Le passage s’ouvre sur une attaque du pouvoir monarchique, menée avec prudence grâce au procédé du regard étranger. Le roi de France devient un « Capa-inca » : ce détournement lexical permet de contourner la censure tout en accentuant l’effet d’étrangeté. La critique est claire : « le gouvernement de cet Empire […] ne peut manquer d’être défectueux » : l’antithèse entre l’Empire français et celui des Incas fait ressortir la corruption et l’avidité du pouvoir européen. La phrase oppose devoir du souverain (« pourvoir à la subsistance ») et exploitation (« tirent [leur subsistance] des travaux de leurs sujets »), révélant un renversement moral.

Zilia élargit ensuite son regard à la société française : nobles, bourgeois et paysans. Elle souligne d’abord l’illusion d’opulence des nobles : l’antithèse entre « magnificence apparente » et « misère réelle » dénonce une aristocratie factice, ruinée par son train de vie. Puis vient le « commun des hommes », c’est-à-dire la bourgeoisie, accusée d’immoralité : la périphrase « la mauvaise foi est le moindre des crimes » fonctionne comme une hyperbole ironique, renforçant l’image d’une classe cupide et sans probité. Enfin, les paysans apparaissent dans une description pathétique : « à peine […] suffisamment pour s’y empêcher de mourir ». L’adverbe restrictif et le rythme binaire insistent sur leur misère extrême.

Cette peinture sociale conduit à une réflexion plus large sur la toute-puissance de l’argent. La répétition anaphorique (« Sans avoir de l’or… Sans posséder… ») illustre l’absurdité d’un système économique où l’or devient la condition de toute survie. L’argument est appuyé par une référence philosophique aux « lumières naturelles » et à la « raison » : Graffigny se place dans le sillage des Lumières pour dénoncer l’injustice sociale. Le blâme se divise alors entre le souverain, accusé de privilégier une minorité, et les nobles, critiqués pour leur mépris du travail, allant jusqu’au suicide — image extrême qui souligne l’ignominie de ce système.

Deuxième mouvement : la découverte du mépris et du triomphe des apparences

Après cette critique externe de la société, Zilia revient à une réflexion intime : elle avoue que la connaissance de ces « tristes vérités » a suscité en elle « pitié » et « indignation ». L’accumulation de sentiments traduit la violence de sa réaction. Mais le regard s’intériorise : « dans quelle classe dois-je me ranger ? » — la question rhétorique traduit son inquiétude quant à son statut social dans cette hiérarchie injuste.

C’est le poids du mépris qui marque profondément Zilia : « la manière méprisante dont j’entendis parler de ceux qui ne sont pas riches ». La mise en relief de l’adjectif accentue la cruauté de cette société d’apparences. La narratrice avoue son combat intérieur : elle rejette en théorie toute honte « qui ne vient pas d’une faute commise », mais confesse qu’elle ne peut se défendre de souffrir du jugement des autres. Le paradoxe met en scène un conflit entre raison et sensibilité.

L’analyse débouche sur une critique générale du triomphe des apparences : Zilia rapproche la superficialité morale et la fausseté matérielle. La comparaison filée entre les meubles « qui n’ont que la superficie » et la « politesse » qui masque les vices dénonce une société de l’artifice. Les procédés de comparaison et d’analogie concrète donnent force à ce dévoilement des faux-semblants.

Troisième mouvement : l’éloge des livres et la critique de l’inculture 

Enfin, la lettre s’achève sur une valorisation des livres, perçus comme instruments de connaissance et de libération. La périphrase « une sorte d’écriture que l’on appelle Livre » rappelle la naïveté initiale de l’héroïne, mais l’enthousiasme est clair : « ils me sont fort utiles », « je crois justes » → insistance sur l’usage intellectuel et moral. La comparaison « ils sont à l’âme ce que le Soleil est à la terre » confère au livre une valeur lumineuse et quasi divine, en droite ligne avec l’esprit des Lumières.

Mais à cet éloge succède un constat amer : la société n’accorde pas assez d’importance aux livres. La remarque sur Céline, « elle n’est pas assez instruite », souligne le manque d’éducation des femmes, reflet du combat des Lumières pour l’instruction féminine. L’hyperbole finale (« elle ignore leurs noms, et même s’ils vivent ») achève sur une note ironique, qui dénonce le mépris du savoir dans une société trop attachée au paraître.

Cette lettre XX illustre l’évolution de Zilia : plus qu’une spectatrice indignée, elle devient une observatrice lucide et critique de la société française. L’étude linéaire a montré la progression de son discours : critique de la monarchie et des inégalités sociales, réflexion sur le poids du jugement et des apparences, puis éloge des livres comme véritable lumière du siècle. Graffigny fait de son héroïne une porte-parole des Lumières, tout en soulignant les contradictions d’une époque qui mérite difficilement ce titre.

 

 

Commentaire littéraire 

 

Paru en 1747, le roman épistolaire de Françoise de Graffigny met en scène Zilia, une jeune Inca arrachée à son peuple et découverte par les Français. À travers ses lettres à son fiancé Aza, elle observe et juge la société française. La lettre XX marque une étape importante : Zilia, désormais plus intégrée, livre ses réflexions sur l’organisation politique, sociale et culturelle de l’« Empire ». Elle y développe une critique vigoureuse des institutions, des hiérarchies et des mœurs européennes.
On peut donc se demander comment, à travers le regard étranger de Zilia, cette lettre illustre à la fois les idéaux et les limites du siècle des Lumières.

I. Une dénonciation des injustices sociales et politiques

La critique de la monarchie et de la hiérarchie sociale

L’analogie entre le roi français et le « Capa-inca » renverse l’évidence du pouvoir absolu.

Le contraste entre devoir du souverain (« pourvoir à la subsistance ») et exploitation (« tirent [leur subsistance] des travaux de leurs sujets ») met en lumière la corruption du système monarchique.

Graffigny évite la censure grâce à ce procédé de décentrement culturel.

La satire des différentes classes sociales

Noblesse présentée dans une contradiction entre « magnificence apparente » et « misère réelle » → critique de l’ostentation.

Bourgeoisie dénoncée pour sa cupidité : hyperboles et ironie (« la mauvaise foi est le moindre des crimes »).

Paysans dépeints dans une extrême misère → registre pathétique (« à peine… suffisamment pour s’y empêcher de mourir »).

La mise en accusation du pouvoir de l’argent

Anaphores et répétitions (« Sans avoir de l’or… ») pour montrer la dépendance universelle à la richesse.

Référence aux « lumières naturelles » : l’argument philosophique légitime la dénonciation.

La société française est montrée comme inversée : l’or y supplante la morale et la raison.

II. Le poids du regard social et la tyrannie des apparences

L’expérience du mépris

L’adjectif « méprisante » mis en valeur traduit la violence symbolique subie par les pauvres.

Zilia s’interroge sur sa propre place : question rhétorique (« dans quelle classe dois-je me ranger ? ») qui révèle une inquiétude identitaire.

Un conflit intérieur entre raison et sensibilité

Affirmation rationnelle : seule la faute justifie la honte.

Mais aveu de la douleur ressentie malgré tout → tension entre lucidité et fragilité émotionnelle.

Une société fondée sur l’artifice

Comparaison filée entre meubles plaqués et « politesse » hypocrite → dénonciation d’un monde faux.

La critique morale rejoint la critique esthétique : ce qui brille n’a pas de valeur réelle.

III. Les livres comme lumière et remède aux illusions

Une découverte exaltante

Enthousiasme naïf de Zilia (« une sorte d’écriture que l’on appelle Livre »).

Comparaison solaire (« ils sont à l’âme ce que le Soleil est à la terre ») → image emblématique des Lumières.

Les livres deviennent instruments d’émancipation et de vérité.

La mise en cause de l’inculture ambiante

Céline symbolise le manque d’éducation, surtout des femmes (« elle n’est pas assez instruite »).

L’hyperbole ironique (« elle ignore leurs noms, et même s’ils vivent ») souligne l’ignorance volontaire de la société mondaine.

Les Lumières, un idéal encore inaccompli

Le contraste entre le potentiel des livres et l’indifférence du monde souligne les limites du siècle.

Zilia incarne une véritable philosophe en herbe, plus éclairée que ses hôtes européens.

Cette lettre illustre parfaitement l’usage du regard étranger comme outil critique : Zilia dénonce la monarchie et les privilèges, dévoile l’hypocrisie sociale et célèbre le rôle libérateur des livres. À travers elle, Françoise de Graffigny fait entendre les idéaux des Lumières — critique des inégalités, valorisation de la raison, importance du savoir — mais elle en montre aussi les contradictions : une société qui se dit éclairée continue à mépriser les pauvres, les femmes et les incultes. Le roman fait ainsi du point de vue exotique un révélateur des faux-semblants et une arme philosophique contre l’ethnocentrisme.

 

Commentaire rédigé 

 

Le XVIIIe siècle, dit « siècle des Lumières », est marqué par la remise en cause des pouvoirs établis et par l’essor du roman épistolaire, qui permet à des narrateurs étrangers de livrer un regard neuf sur la société française. En 1747, Françoise de Graffigny publie Lettres d’une Péruvienne. Son héroïne, Zilia, princesse inca enlevée puis recueillie en France, observe avec étonnement et lucidité le fonctionnement de ce nouvel univers. Dans la lettre XX, elle critique la monarchie, les inégalités sociales, les faux-semblants et l’inculture, tout en exaltant la valeur des livres.

On peut se demander : comment cette lettre illustre-t-elle à la fois les idéaux et les contradictions du siècle des Lumières ?

I. Une critique politique et sociale vigoureuse

Dès l’ouverture, Zilia attaque la monarchie par une comparaison audacieuse : le roi de France est assimilé à un « Capa-inca ». Ce procédé d’analogie relativise son pouvoir et suggère son arbitraire. La critique s’appuie sur une antithèse : au lieu de « pourvoir à la subsistance » de son peuple, le souverain « tire [sa subsistance] des travaux de ses sujets ». La mission royale se trouve ainsi pervertie.

La satire se déploie ensuite sur les différents ordres sociaux. Les nobles sont décrits dans une illusion d’opulence : leur « magnificence apparente » cache une « misère réelle », image qui ridiculise leur faste ruineux. La bourgeoisie, elle, est frappée par une hyperbole ironique : « la mauvaise foi est le moindre des crimes », ce qui dénonce sa cupidité. Enfin, les paysans sont évoqués dans une description pathétique : « à peine… pour s’y empêcher de mourir », où l’adverbe restrictif souligne leur détresse.

Cette critique aboutit à la dénonciation de la toute-puissance de l’argent. L’anaphore « Sans avoir de l’or… » illustre l’absurdité d’un monde où l’or conditionne toute survie. En convoquant la « raison » et les « lumières naturelles », Zilia s’inscrit clairement dans l’héritage philosophique des Lumières, en particulier celui de Montesquieu et de Rousseau.

II. Le poids du jugement social et le règne des apparences

Après avoir condamné la société dans son ensemble, Zilia exprime une réflexion plus intime. Elle avoue avoir ressenti « pitié » et « indignation » face à ces inégalités. Mais ce constat se double d’une inquiétude : « dans quelle classe dois-je me ranger ? » Cette question rhétorique traduit son désarroi dans une hiérarchie injuste.

Elle découvre surtout la violence du mépris : « la manière méprisante dont j’entendis parler de ceux qui ne sont pas riches » souligne le rejet social. Si elle affirme que seule « une faute commise » peut justifier la honte, elle confesse pourtant souffrir du jugement d’autrui. Ce paradoxe met en lumière le conflit entre raison et sensibilité, thème central du XVIIIe siècle.

Cette réflexion débouche sur une critique du triomphe des apparences. Graffigny dénonce une société factice par une analogie concrète : des meubles qui n’ont « que la superficie » sont comparés à une politesse qui masque la corruption. La société française apparaît ainsi comme un monde d’artifice et d’hypocrisie.

III. L’éloge des livres, véritables lumières du siècle

La fin de la lettre introduit une note plus positive : Zilia célèbre la découverte des livres. Elle les présente comme « une sorte d’écriture » d’abord mystérieuse, puis comme une source de lumière : « ils sont à l’âme ce que le Soleil est à la terre ». La métaphore solaire en fait un symbole de vérité et de fécondité, en parfaite cohérence avec l’esprit des Lumières.

Mais cet enthousiasme se heurte aux limites de la société. Céline, figure de la Française moyenne, « n’est pas assez instruite » : elle « ignore leurs noms, et même s’ils vivent ». L’hyperbole finale souligne avec ironie la superficialité d’un monde qui méprise le savoir. Zilia, étrangère, apparaît paradoxalement plus éclairée que les Européens eux-mêmes.

Cette lettre XX illustre le rôle critique du roman épistolaire : à travers le regard naïf et lucide de Zilia, Graffigny dévoile les inégalités sociales, l’hypocrisie des apparences et le mépris du savoir. En exaltant la valeur des livres, elle fait de son héroïne une véritable porte-parole des Lumières. Mais elle en révèle aussi les limites : le « siècle éclairé » n’est pas encore celui de la justice ni de l’instruction universelle.

Ouverture : Comme les Persans de Montesquieu dans les Lettres persanes, Zilia incarne le regard étranger qui met en lumière les contradictions de la société française, oscillant entre idéal et imposture.

 

 

Bac 2026Lettres d'une Péruvienne, Françoise de Graffigny / Un nouvel univers s'est offert à mes yeux 

 

 

 

Bac 2026Pour aller plus loin 

 

En tant qu’humaniste, Montaigne s’intéresse à l’un des faits marquants de son époque : la découverte du « nouvel univers » et de ses habitants, décrits dans de nombreux récits de voyages. Ces rencontres suscitent de vifs débats sur la nature des Amérindiens, souvent qualifiés de « sauvages », qualification qui sert à justifier les violences des conquérants. Dans le chapitre intitulé Des Cannibales, Montaigne met en lumière certaines qualités de ces peuples tout en comparant la pratique redoutable de l’anthropophagie aux cruautés exercées par les Européens, et notamment à celles perpétrées durant les guerres de religion. En conclusion du chapitre, il raconte sa propre rencontre avec des indigènes et la conversation qu’il entretient avec eux. Ce récit de confrontation des regards prend alors une fonction essentielle : il permet à Montaigne d’illustrer par l’expérience directe la relativité des mœurs, de questionner l’ethnocentrisme européen et d’inviter le lecteur à réfléchir sur la notion de « barbarie ».

Le XVIIIᵉ siècle n’est pas seulement celui des « philosophes » : il est également marqué par de nombreuses découvertes et explorations, comme l’expédition menée par Bougainville (1729-1811). Parti de Nantes en 1766 pour un tour du monde, accompagné d’un naturaliste, d’un dessinateur et d’un botaniste, Bougainville publie en 1771 Voyage autour du monde, qui suscite de nombreux débats, certains reprochant à l’ouvrage l’absence de véritables découvertes.

Un an plus tard, Denis Diderot profite de ce récit pour développer sa propre réflexion philosophique dans le Supplément au voyage de Bougainville (1772), sous-titré Dialogue entre A et B sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas. Cet ouvrage, publié seulement à titre posthume en 1796, utilise le dialogue, genre littéraire cher à Diderot, pour remettre en question plusieurs affirmations de Bougainville, notamment sur la nature morale des indigènes.

Dans le chapitre IX du récit de Bougainville, l’auteur décrit l’accueil réservé par les habitants de Tahiti aux Européens, qui passe de la méfiance à une véritable hospitalité, au point de comparer l’île à un « jardin de l’Éden ». Il mentionne également un vieillard silencieux, dont il interprète « l’air rêveur et soucieux » comme une crainte que « ses jours heureux, écoulés pour lui dans le sein du repos, ne fussent troublés par l’arrivée d’une nouvelle race ». Diderot saisit cette remarque pour donner directement la parole au vieillard dans le chapitre II du Supplément, lui permettant d’adresser ses adieux à Bougainville et d’exprimer son jugement sur la civilisation européenne.

Ainsi, le regard de ce représentant du peuple tahitien conquis offre une perspective critique sur l’Europe, soulignant le contraste entre l’innocence et l’harmonie de son monde et la violence et la domination des Européens. Ce dialogue met en lumière la relativité des valeurs et invite le lecteur à interroger les notions de progrès et de civilisation.

 

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