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Commentaire  La Boétie, Discours de la servitude volontaire

Commentaires linéaire et littéraire "Soyez résolus..." Discours de la servitude volontaire, La Boétie

Le 24/07/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Commentaires linéaire et littéraire

 

Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlevez, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vous viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus qui vous épient, si ce n’est de vos rangs ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous que par vous-mêmes ? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste ; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure ; vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore !), pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres.

 

Etude linéaire 

L'oral du bac de français

 

Dans ce passage du Discours de la servitude volontaire, rédigé par Étienne de La Boétie au milieu du XVIᵉ siècle, l’auteur s’élève contre la tyrannie et, de manière plus étonnante, contre la soumission volontaire des peuples. Cet extrait se situe dans la partie centrale du discours, là où La Boétie cherche à réveiller ses contemporains en leur montrant l’absurdité de leur condition. Il adopte un ton véhément, presque prophétique, pour dénoncer la complicité du peuple dans sa propre oppression.

Problématique :
Comment La Boétie, à travers cette adresse directe au peuple, dénonce-t-il non seulement la tyrannie, mais surtout la servitude que les peuples s’infligent à eux-mêmes ?

Les mouvements du texte

  • Mouvement 1 :
  • Une dénonciation violente de l’état d’asservissement du peuple
  • Du début jusqu’à « rien n’est plus à vous »
  • Mouvement 2  :
  • Un renversement accusatoire : le tyran est faible, c’est le peuple qui le rend puissant
  • De « Et tout ce dégât… » jusqu’à « traîtres de vous-mêmes »
  • Mouvement 3  :
  • Une exhortation finale à la révolte, fondée sur un paradoxe radical : il suffit de « vouloir » pour être libre
  • De « Vous semez vos champs… » jusqu’à la fin

 

Mouvement 1 : Dénonciation de l’état d’asservissement du peuple 

« Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien… »

Le passage s’ouvre sur une apostrophe violente composée de plusieurs groupes nominaux dépréciatifs (« pauvres gens », « misérables », « peuples insensés »).

Cette gradation insiste sur la culpabilité morale du peuple, accusé d’aveuglement volontaire et d’entêtement dans la souffrance.

La série de verbes au passif ou à la voix pronominale passive (vous vous laissez enlever… piller… dévaster… dépouiller) montre la passivité du peuple, qui ne résiste même pas à l’oppression.

« ...le plus beau et le plus clair de votre revenu… dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! »

Le champ lexical du pillage et du vol (« enlever », « piller », « dépouiller ») évoque un véritable saccage.

La mention des « meubles de vos ancêtres » introduit une dimension mémorielle et affective : la tyrannie détruit jusqu’à l’héritage et l’identité.

« Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens… »

L’ironie amère du conditionnel présent (« il semble… ») suggère l’absurde résignation des peuples : ils se contenteraient de garder « la moitié » de leurs biens, voire de leurs vies.

L’énumération (biens, familles, vies) culmine sur l’idée de déshumanisation totale : l’homme n’est plus qu’un rouage au service du tyran.

 Procédés à relever :
→ Apostrophes et insultes morales
→ Champ lexical du vol et de la ruine
→ Ironie tragique
→ Anaphore en « vous » : implication directe du lecteur
→ Rythme haché par les exclamations : ton passionné et accusateur

 

Mouvement 2 : Un renversement accusatoire – Le tyran est faible, le peuple le rend fort 

« Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains… »

La Boétie amorce ici un raisonnement par l’absurde : le tyran est un homme comme les autres.

L’énumération (deux yeux, deux mains, un corps) réduit le despote à sa simple condition humaine.

Cela sert à démystifier le pouvoir, à rompre le mythe du souverain surhumain.

« Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. »

Paradoxe central du discours : le pouvoir du tyran est celui que le peuple lui donne.

L’emploi du pronom « vous » renforce la responsabilité directe du peuple.

« D’où tire-t-il les innombrables argus... les mains… les pieds… »

Accumulation de questions rhétoriques visant à faire réfléchir : l’oppression n’est possible que parce que le peuple y participe.

L’auteur emploie un registre presque sophistique, mais avec une logique puissante : le peuple est à la fois surveillé et surveillant, frappé et bras du frappeur.

« Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron… traîtres de vous-mêmes ? »

L’accusation atteint son comble avec des images de complicité criminelle : le peuple est « receleur », « complice », « traître ».

La Boétie engage ici une dimension morale forte, presque religieuse : le peuple est coupable de sa propre damnation.

 Procédés à relever :
→ Raisonnement par l’absurde
→ Questions rhétoriques
→ Énumérations déconstructrices
→ Registre judiciaire et culpabilisant
→ Paradoxes

 

Mouvement 3 : Une exhortation à la liberté – Il suffit de vouloir 

« Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste… vous nourrissez vos enfants… »

Retour à l’anaphore en « vous », qui fait du peuple un agent actif de sa propre servitude.

L’effet d’accumulation dans les subordonnées finales (pour que…) montre une logique implacable d’auto-destruction.

Les actions les plus nobles (travailler, nourrir ses enfants) sont détournées pour alimenter le système tyrannique.

« Trop heureux sont-ils encore ! »

Brève interjection entre parenthèses, teintée d’une amertume tragique : les enfants envoyés à la guerre sont presque à envier, tant leur destin est misérable.

« Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort… »

Une métaphore politique inversée : plus le peuple s’épuise, plus le tyran prospère.

L’image de la bride (« vous tienne la bride plus courte ») symbolise une domination totale, comme celle d’un animal domestiqué.

« Que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point… »

Comparaison finale très forte : les animaux auraient plus de dignité que les hommes.

« Vous pourriez vous en délivrer… seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. »

La conclusion est d’une force radicale : il suffirait d’un acte de volonté pour renverser le pouvoir.

Cette sentence finale devient célèbre : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres ». C’est une injonction au réveil, à la prise de conscience, sans appel à la violence.

 Procédés à relever :
→ Anaphore en « vous »
→ Accumulations et subordonnées finales
→ Métaphores animales et images de soumission
→ Injonction finale forte
→ Construction d’un paradoxe libérateur : vouloir = liberté

 

Par cette adresse directe, La Boétie renverse totalement le discours politique traditionnel. Ce n’est pas tant le tyran qui opprime, que le peuple qui accepte de lui céder sa liberté. L’auteur construit une rhétorique de l’éveil, où l’indignation morale et la logique politique convergent pour délégitimer la tyrannie. L’homme n’est pas fait pour être esclave : il lui suffit de vouloir être libre.

Ce texte peut être mis en relation avec les grands textes de la philosophie politique comme Du contrat social de Rousseau, ou encore avec les combats non-violents de figures comme Gandhi, qui affirmait : « Un homme ne peut être réduit en esclavage sans son propre consentement ». La Boétie pose ainsi les bases d’un humanisme radical fondé sur la conscience individuelle.

 

Question de grammaire 

 

 

Les propositions dans une phrase complexe :

Dans la phrase suivante :
« Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ? »
Identifie les propositions subordonnées dans cette phrase et précise leur nature. Quel est le rôle de la subordonnée introduite par « si » ?

Réponse attendue :

Cette phrase est complexe : elle contient plusieurs propositions reliées par coordination ou subordination.

Proposition principale interrogative indirecte :
→ « Quel mal pourrait-il vous faire »
C’est une interrogation rhétorique, exprimée ici au conditionnel, qui sert à montrer l’absurdité de la situation.

Subordonnée conditionnelle introduite par « si » :
→ « si vous n’étiez receleur du larron… »
C’est une proposition subordonnée circonstancielle de condition, qui exprime une hypothèse.
Elle indique que le pouvoir de nuire du tyran dépend de la complicité du peuple.

À l’intérieur de cette subordonnée, on trouve une coordination de groupes du nom apposés :
→ « receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes »
Chacun de ces groupes inclut une proposition subordonnée relative introduite par « qui » :

« qui vous pille »

« qui vous tue »
Ces propositions relatives précisent les noms « larron » et « meurtrier ».

 Le commentaire littéraire de l'extrait 

L'écrit du bac de français 

 

 

Texte étudié : Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire
Extrait : « Pauvres gens et misérables, peuples insensés… » jusqu’à « …et vous serez libres. »

Au XVIᵉ siècle, alors que la monarchie absolue se renforce en France, un jeune humaniste du nom d’Étienne de La Boétie rédige un texte aussi fulgurant que subversif : Le Discours de la servitude volontaire. Âgé d’à peine dix-huit ans, il y développe une thèse à la fois simple et radicale : les tyrans ne sont puissants que parce que les peuples leur obéissent. La servitude n’est pas imposée, elle est volontaire.

Dans cet extrait central du discours, La Boétie interpelle directement les peuples pour leur montrer à quel point leur soumission est absurde, destructrice et évitable. Par une adresse passionnée, il cherche à provoquer une prise de conscience.

Problématique :
Comment La Boétie construit-il une dénonciation énergique de la tyrannie en renversant la responsabilité de l’oppression sur le peuple lui-même ?

 I. Une interpellation directe et violente du peuple soumis

1. Une adresse accusatrice

Dès l’ouverture, La Boétie interpelle son lecteur par une série d’expressions dévalorisantes : « pauvres gens et misérables », « peuples insensés », « nations opiniâtres ». La gradation dans les termes traduit un profond mépris mêlé d’indignation. L’auteur ne ménage pas son auditoire : il le considère comme responsable de sa propre misère. Ces termes relèvent d’un lexique moral et affectif, soulignant l’aveuglement du peuple, coupable de préférer la soumission au bien commun.

2. Une description de la dépossession

La suite du passage décrit la condition du peuple en des termes concrets et violents : « piller vos champs », « dévaster vos maisons », « dépouiller des meubles de vos ancêtres ». Le champ lexical du vol et de la destruction montre que le peuple n’a plus rien, pas même ses souvenirs ni ses racines. L’usage de la deuxième personne du pluriel implique fortement le lecteur et rend la dénonciation personnelle.

3. L’absurde résignation des opprimés

La Boétie insiste sur le paradoxe de cette situation : non seulement le peuple est spolié, mais il s’en satisfait presque. Il affirme avec une ironie amère que les opprimés verraient comme un bonheur « qu’on [leur] laissât seulement la moitié de [leurs] biens, de [leurs] familles, de [leurs] vies. » L’auteur souligne ainsi une forme d’habituation à la souffrance, qui rend la révolte impensable. L’indignation se double ici d’un désespoir lucide.

 II. Le renversement du pouvoir : un tyran faible rendu fort par la complicité populaire

1. Démystification du tyran

À partir de « Ce maître n’a pourtant… », La Boétie entreprend de déconstruire la figure du tyran. Il souligne qu’il est un homme comme les autres : « deux yeux, deux mains, un corps ». L’énumération anatomique insiste sur sa banalité. Ce passage vise à rompre le mythe du pouvoir naturel ou surnaturel, et à rappeler que la domination repose uniquement sur la soumission des dominés.

2. Un pouvoir nourri par la servitude

Le raisonnement se renverse : si le tyran est puissant, c’est parce que le peuple le rend tel. « Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire ». L’auteur utilise une logique percutante, construite sur des questions rhétoriques : « d’où tire-t-il les innombrables argus… ? », « comment a-t-il tant de mains… ? » Ces questions font apparaître un paradoxe central : le peuple est à la fois victime et instrument de l’oppression.

3. L’accusation morale : le peuple complice

La Boétie franchit un cap en accusant le peuple non plus de passivité, mais de complicité active. Il parle de « receleur du larron », de « complice du meurtrier » et même de « traîtres de vous-mêmes ». Le registre judiciaire transforme le peuple en criminel. La subversion est totale : ce n’est pas le tyran qui est dénoncé, mais le peuple qui se livre à lui, trahissant sa propre liberté.

 III. Une exhortation finale à la libération intérieure

1. Une logique de l’absurde

Dans la dernière partie, La Boétie pousse l’absurdité à son comble : les peuples « sèment » pour que le tyran « dévaste », ils « nourrissent leurs enfants » pour qu’ils soient transformés en soldats, voire en instruments de guerre et de luxure. Le procédé d’accumulation révèle une mécanique infernale où tout effort humain nourrit l’oppression.

2. Une dénonciation animale et déshumanisante

La Boétie s’emporte : même les bêtes « ne sentiraient point ou n’enduraient pas » de telles indignités. La comparaison avec les animaux vise à humilier les hommes : ils acceptent ce qu’aucun être vivant ne tolérerait. Il emploie une rhétorique de la honte, destinée à provoquer une réaction morale.

3. Le paradoxe libérateur

Enfin, La Boétie termine sur une phrase aussi célèbre que déroutante : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. » Cette phrase, de construction binaire, articule un impératif moral et une conséquence logique. L’auteur ne propose pas la révolte, mais un acte intérieur de volonté. Il s’agit de comprendre que la liberté n’est jamais perdue : elle est simplement abandonnée.

Dans ce texte fulgurant, La Boétie renverse les idées habituelles sur la domination politique. Par une adresse directe, un style énergique et une logique implacable, il accuse le peuple de se fabriquer lui-même sa propre prison. Loin d’appeler à la violence, il en appelle à une révolution mentale, où la simple décision de ne plus servir suffit à faire tomber le tyran.

On retrouve cette idée dans d'autres grands textes de la pensée politique, comme Du contrat social de Rousseau, qui déclare : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » À la suite de La Boétie, de nombreuses figures comme Gandhi ou Thoreau ont repris ce principe d’une désobéissance civile fondée sur la liberté intérieure.

 

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