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Commentaire  La Boétie, Discours de la servitude volontaire  Bac 2026

Le pouvoir de l'habitude, commentaires linéaire et littéraire, Discours de la servitude volontaire, La Boétie

Le 24/07/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Commentaires littéraire et linéaire 

Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige d’abord suivant les penchants bons ou mauvais qu’elle nous a donnés ; mais aussi faut-il convenir qu’elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude ; car, si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu ; et la nourriture nous façonne toujours à sa façon, de quelque manière que ce soit, malgré la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si frêles et si minces qu’elles ne peuvent résister au moindre heurt d’une nourriture qui les contrarie. Elles ne se conservent pas si facilement qu’elles s’abâtardissent, dégénèrent même et disparaissent, comme il arrive à ces arbres fruitiers qui, ayant tous leur espèce propre, la conservent tant qu’on les laisse venir naturellement, mais la perdent, pour porter des fruits tout à fait différents des leurs, dès qu’on les a greffés. Les herbes ont aussi chacune leur propriété, leur naturel, leur singularité : mais toutefois, le gel, le temps, le terroir ou la main du jardinier, améliorent ou détériorent sensiblement leur qualité ; la plante qu’on a vue dans un pays n’est souvent plus reconnaissable dans un autre.
  Qui verrait les Vénitiens, poignée de gens qui vivent si librement que le plus méchant d’entre eux ne voudrait pas être le roi de tous, ainsi nés et nourris qu’ils ne reconnaissent d’autre ambition sinon à qui mieux avisera et le plus soigneusement prendra garde à entretenir la liberté, ainsi appris et formés dès le berceau qu’ils n’échangeraient pas un brin de leur liberté pour toutes les autres félicités humaines ; qui verrait, dis-je, ces hommes, et s’en irait ensuite, en les quittant, dans les domaines de celui que nous appelons le Grand seigneur, voyant là des gens qui ne sont nés que pour le servir et qui pour maintenir sa puissance abandonnent leur vie, penserait-il que ces deux peuples sont de même nature ? Ou plutôt ne croirait-il pas qu’en sortant d’une cité d’hommes, il est entré dans un parc de bêtes ?
  On raconte que Lycurgue, législateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités du même lait, l’un engraissé à la cuisine et l’autre habitué à courir les champs, au son de la trompe et du huchet. Voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels que la nourriture les fait, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un lièvre : l’un courut au plat et l’autre au lièvre et pourtant, dit-il, ils sont frères ! Donc ce législateur avec ses lois et sa police éduqua si bien les Lacédémoniens que chacun d’eux eut préféré mourir de mille morts, plutôt que de reconnaître autre seigneur que la loi et la raison.

Etude linéaire 

L'oral du bac de français 

 

 

 

Voici une étude linéaire complète  du passage du Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, que tu pourras utiliser pour l’oral du bac de français 2026, dans le cadre du parcours « Défendre et entretenir la liberté ».

 

Dans ce passage du Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie poursuit sa réflexion sur les causes de la soumission des peuples à un pouvoir tyrannique. Il développe ici une idée essentielle : la servitude n’est pas seulement imposée par la force, elle est aussi intériorisée par habitude, au point que des peuples entiers en viennent à préférer la soumission à la liberté. En s’appuyant sur des comparaisons issues de la nature, de la culture et de l’histoire, La Boétie montre comment les hommes, selon l’environnement dans lequel ils grandissent, peuvent devenir libres ou serviles.
Nous verrons comment ce texte, en articulant réflexion morale, exemples concrets et démonstration vive, dénonce le conditionnement des hommes et plaide en faveur de l'éducation à la liberté.

 

Nous verrons que ce texte se compose de trois mouvements successifs :

  • Du début jusqu’à « dans un autre » : La Boétie affirme que l’habitude est plus forte que la nature, en montrant comment l’environnement déforme les dispositions naturelles à la liberté.
  • De « Qui verrait les Vénitiens » à « parc de bêtes ? » : il illustre cette idée par une comparaison entre deux peuples opposés : les Vénitiens, éduqués dans la liberté, et les sujets du Grand Seigneur, habitués à la servitude.
  • De « On raconte que Lycurgue… » jusqu’à la fin : il conclut en utilisant une anecdote exemplaire pour prouver que l’éducation façonne durablement les comportements humains, même face à des instincts communs.

 

 

1. L’emprise de l’habitude sur la nature humaine (du début jusqu’à «...dans un autre. »)

Dès la première phrase, La Boétie introduit une tension entre nature et habitude :

« Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige d’abord… mais aussi faut-il convenir… »

La tournure concessive en deux temps, introduite par l’expression « nul doute que » puis contredite par « mais aussi faut-il convenir », met en valeur l'idée selon laquelle la nature, bien que présente au départ, est dominée par l’habitude.

L’énumération « penchants bons ou mauvais » suggère que la nature humaine n’est pas uniforme, mais ambivalente.

Il insiste ensuite sur la force de l’éducation ou de l’influence du milieu :

« elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude »

La phrase qui suit est frappante par sa structure syntaxique et son balancement (« si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu »), qui souligne la fragilité de la nature humaine.

Le verbe « façonner », appliqué à la « nourriture », renvoie à l’idée d’un conditionnement.

Suit une série de comparaisons et métaphores naturelles :

Les « semences de bien » représentent les dispositions naturelles à la vertu, mais elles sont qualifiées de « frêles et minces », donc faciles à détruire.

L’opposition « nature » / « nourriture » (à comprendre au sens de « formation » ou d’« éducation ») structure tout le passage.

La Boétie enchaîne avec des analogies végétales :

« comme il arrive à ces arbres fruitiers… », « les herbes ont aussi… leur propriété »

Ces exemples illustrent le propos de manière sensorielle et concrète, ce qui rend la démonstration plus accessible.

On remarque un lexique de la transformation, voire de la dégradation : « abâtardir », « dégénérer », « disparaître », « plus reconnaissable ».
→ L’idée est claire : le milieu peut altérer la nature initiale, au point de la rendre méconnaissable.

2. Contraste entre peuples libres et peuples soumis (de « Qui verrait les Vénitiens… » à « …dans un parc de bêtes ? »)

L’auteur change de registre pour passer de l’abstraction aux exemples historiques et politiques.

L’hypothèse « Qui verrait les Vénitiens… » introduit une situation concrète : une opposition entre deux peuples — les Vénitiens, peuple libre, et les sujets du Grand Seigneur (sultan ottoman), peuple soumis.

Les Vénitiens sont idéalisés : ils vivent « si librement » que « le plus méchant d’entre eux » refuse le pouvoir.
→ Hyperbole qui valorise leur attachement à la liberté.

L’éducation est de nouveau mise en avant :

« ainsi appris et formés dès le berceau… »

→ Cela montre que la liberté est un apprentissage, une valeur transmise dès l’enfance.

L’accumulation « n’échangeraient pas un brin de leur liberté pour toutes les autres félicités humaines » souligne leur attachement viscéral à la liberté, supérieure à tous les biens matériels.

Vient ensuite l’opposition violente avec les peuples du sultan :

« des gens qui ne sont nés que pour le servir »

Cette formulation marque une aliénation totale, une soumission inscrite dans l’être.

La comparaison finale est marquante :

« Ou plutôt ne croirait-il pas… qu’il est entré dans un parc de bêtes ? »

→ La servitude est si profondément ancrée qu’elle déshumanise les hommes.

→ L’effet est brutal, polémique : La Boétie utilise la métaphore animale pour stigmatiser l’aliénation politique.

3. L’exemple de Lycurgue : une leçon politique et morale (à partir de « On raconte que Lycurgue… » jusqu’à la fin)

Ce dernier mouvement mobilise une anecdote historique exemplaire, selon un procédé rhétorique courant au XVIe siècle.

Lycurgue, législateur de Sparte, fait une démonstration publique en opposant deux chiens frères, élevés différemment.

→ L’image est parlante et pédagogique :

l’un est paresseux et domestiqué, l’autre est actif et obéit à son instinct de chasse.

« Et pourtant, dit-il, ils sont frères ! » → le contraste ne vient pas de la nature, mais de l’éducation.

La Boétie conclut sur une formule forte :

« chacun d’eux eut préféré mourir de mille morts plutôt que de reconnaître autre seigneur que la loi et la raison »

→ La liberté est liée à la loi et à la raison, non à l’obéissance à un homme.

→ Le vocabulaire héroïque (« mille morts ») fait de la liberté une valeur sacrée, digne du sacrifice suprême.

Ce passage est une démonstration puissante et progressive de la manière dont l’éducation, l’habitude et l’environnement façonnent les peuples. Par le biais de métaphores naturelles, d’exemples politiques et d’anecdotes historiques, La Boétie établit une opposition claire entre liberté apprise et servitude intériorisée.
Il plaide ainsi pour une éducation à la liberté, fondée sur la raison, et dénonce les effets déshumanisants de l’habitude servile.
Dans le cadre du parcours « Défendre et entretenir la liberté », ce texte invite le lecteur à s’interroger sur la manière dont les peuples peuvent s’émanciper de leur condition en reprenant possession de leur esprit critique et de leur volonté politique.

 

Questions de grammaire 

 

Extrait :

« Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige d’abord suivant les penchants bons ou mauvais qu’elle nous a donnés ; mais aussi faut-il convenir qu’elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude. »

Question 1 :
 Analyse la construction grammaticale de la négation dans la proposition « Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige… » :

Quelle est la nature de cette négation (syntaxique ou lexicale) ?

Cette tournure exprime-t-elle réellement une négation ? Justifie ta réponse.

Attendus de la réponse

La négation est syntaxique : elle repose sur l'emploi de l'adverbe « ne » avec le subjonctif (ce ne soit…).

Cependant, cette négation est en fait de forme mais non de sens : il s’agit d’une négation explétive, utilisée après l’expression « nul doute que », qui renforce l’affirmation au lieu de la nier.

La phrase signifie en réalité : il ne fait aucun doute que la nature nous dirige…

« Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige… » n'est ni une négation totale ni une négation partielle, car il ne s’agit pas d’une vraie négation de sens, mais d’une négation explétive.

Question 2 :

Dans la phrase :
« Qui verrait les Vénitiens (…) penserait-il que ces deux peuples sont de même nature ? »
quel est le type de la proposition interrogative ? Est-elle directe ou indirecte ? Totale ou partielle ?

 Réponse attendue :

La proposition « penserait-il que ces deux peuples sont de même nature ? » est une interrogative directe.

Elle est totale, car elle appelle une réponse par oui ou non (→ oui, ils sont de même nature / non, ils ne le sont pas).

C’est une interrogation directe inversée, avec le pronom sujet postposé (penserait-il).

 

 

Commentaire littéraire 

L'écrit du bac de français 

 

La Boétie, Discours de la servitude volontaire – La puissance de l’habitude contre la liberté

Dans cet extrait du Discours de la servitude volontaire, La Boétie développe une idée centrale de son texte : les hommes ne sont pas naturellement esclaves, mais ils le deviennent par l'effet de l'habitude. Il cherche ainsi à comprendre pourquoi des peuples entiers acceptent volontairement leur soumission à un pouvoir tyrannique. Dans ce passage, il mêle réflexion philosophique, exemples historiques et anecdotes pour démontrer que la liberté, loin d’être un instinct naturel immuable, dépend largement de l’éducation et du conditionnement social.

Nous verrons comment La Boétie développe une pensée critique sur l’aliénation des peuples, à travers une démonstration en trois temps : d’abord, la supériorité de l’habitude sur la nature ; ensuite, la mise en opposition de deux modèles politiques à travers un tableau contrasté ; enfin, un exemple frappant illustrant l’idée que l’homme devient ce qu’on fait de lui.

I. L’habitude, plus forte que la nature : une réflexion sur l’aliénation

Dans la première partie du texte, La Boétie affirme la toute-puissance de l’habitude sur la nature humaine. Il commence par reconnaître que « la nature […] nous dirige d’abord suivant les penchants bons ou mauvais qu’elle nous a donnés ». Cette concession au pouvoir inné de la nature est immédiatement nuancée par une restriction : « mais aussi faut-il convenir qu’elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude ». Le connecteur concessif (« mais aussi faut-il convenir ») marque une bascule argumentative : ce n’est pas la nature qui domine l’homme, mais bien l’habitude. Le philosophe souligne ce pouvoir par une série d’images tirées du monde végétal : « les semences de bien […] sont si frêles et si minces », et elles « s’abâtardissent », « dégénèrent », voire « disparaissent ». Ces métaphores agricoles montrent la fragilité des vertus naturelles face à un environnement défavorable : comme un arbre fruitier greffé, l’homme peut perdre son essence originelle. L’opposition est donc claire : la nature est un point de départ, mais l’habitude est une force de transformation – ou de déformation – bien plus décisive. Cette première partie installe l’idée que les peuples peuvent être éduqués à la servitude, au point d’en perdre le goût de la liberté.

II. Le contraste entre peuples libres et peuples asservis : le poids de l’éducation

Dans un second mouvement, La Boétie passe à un exemple politique saisissant, opposant deux peuples : les Vénitiens, modèle de peuple libre, et les sujets du Grand Seigneur (le sultan ottoman), emblèmes de la soumission. L’anaphore « qui verrait… » introduit une question rhétorique qui vise à frapper l’imagination du lecteur. Les Vénitiens sont décrits comme des hommes profondément attachés à la liberté, jusque dans les moindres détails de leur éducation : ils sont « appris et formés dès le berceau » à chérir leur indépendance. L’accumulation (« ils ne reconnaissent d’autre ambition », « ils n’échangeraient pas un brin de leur liberté », etc.) montre que la liberté est au cœur de leur identité collective. À l’inverse, les sujets du Grand Seigneur sont présentés comme des êtres déshumanisés, nés uniquement « pour le servir ». Le contraste est poussé à l’extrême par une métaphore animale : en quittant Venise pour les terres du despote, on passe d’« une cité d’hommes » à « un parc de bêtes ». Cette opposition violente révèle la thèse de La Boétie : ce n’est pas la nature qui explique la différence entre ces peuples, mais l’habitude, c’est-à-dire l’éducation et le contexte politique. Il s’agit d’un véritable appel à l’éveil des consciences, à travers un tableau qui dénonce la résignation.

III. L’illustration par l’exemple : la fable des chiens de Lycurgue

Enfin, La Boétie utilise une anecdote célèbre, celle de Lycurgue, pour renforcer son propos par un exemple concret. Le législateur spartiate élève « deux chiens, tous deux frères », dont il illustre la divergence de comportement en leur présentant « une soupe et un lièvre » : l’un se jette sur la nourriture, l’autre sur la proie. Le procédé est très efficace : la juxtaposition de comportements opposés chez des frères montre que le conditionnement prévaut sur l’hérédité. L’apologue fonctionne comme une démonstration : l’éducation, symbolisée ici par l’entraînement reçu (« l’un engraissé à la cuisine », l’autre « habitué à courir les champs »), forge les individus. Cette anecdote renforce le caractère universel de la réflexion : les hommes, comme les chiens, deviennent ce que leur mode de vie fait d’eux. L’exemple de Sparte, où « chacun d’eux eut préféré mourir de mille morts, plutôt que de reconnaître autre seigneur que la loi et la raison », constitue un modèle politique et moral. On voit ici comment les lois peuvent former des citoyens vertueux, s’ils sont élevés dans l’amour de la liberté.

Dans cet extrait, La Boétie déploie une réflexion puissante sur l’aliénation des peuples : si les hommes acceptent la servitude, ce n’est pas parce qu’ils y sont naturellement enclins, mais parce qu’ils ont été façonnés ainsi. L’habitude, renforcée par l’éducation et le système politique, surpasse la nature et peut même transformer les hommes en bêtes. Par une argumentation vivante, fondée sur des images concrètes, des oppositions marquées et des exemples frappants, l’auteur plaide pour une libération par la conscience et par l’éducation. Ce passage, profondément humaniste, s’inscrit pleinement dans le parcours « Défendre et entretenir la liberté », en posant cette question toujours actuelle : comment redevenir libre lorsqu’on a été longtemps habitué à ne plus l’être ?

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