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Commentaire,

"Pauvres gens misérables", commentaires linéaire et littéraire, Discours de la servitude volontaire, La Boétie

Le 25/07/2025 0

Dans Commentaires littéraires et études linéaires, bac 2026

Commentaires linéaire et littéraire

 

Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regardiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies.

Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ?

 

Etude linéaire 

L'oral du bac de français 

 

 

Ce passage se situe au cœur du Discours de la servitude volontaire (vers 1549), un essai politique dans lequel La Boétie, jeune humaniste, interroge un paradoxe : pourquoi tant de peuples acceptent-ils d’obéir à un tyran unique, alors qu’ils seraient mille fois plus forts que lui ?
Dans ce passage, l’auteur s’adresse directement aux peuples pour les réveiller, en insistant sur l’absurdité et la culpabilité de leur soumission.

Nous verrons comment La Boétie met en œuvre une rhétorique implacable pour dénoncer la passivité, l’aveuglement, puis la complicité du peuple, dans un crescendo accusateur.

Les mouvements du texte : 

  • Mouvement I 
  •  Une interpellation véhémente et un tableau de la dépossession de « Pauvres gens misérables » à « vos familles, de vos vies »
  • Mouvement II 
  •  Un renversement du pouvoir : le tyran ne tient que par ses sujets de « Et tous ces dégâts » à « vous les emprunte ? »
  • Mouvement III
  • La révélation de la complicité des peuples de « Les pieds dont il foule vos cités » à la fin

Mouvement I – Une interpellation véhémente et un tableau de la dépossession (de « Pauvres gens misérables » à « vos familles, de vos vies »)

Début : « Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! »
Fin : « qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. »

Ce mouvement s’ouvre sur une apostrophe véhémente, en forme de triple vocatif : « pauvres gens misérables », « peuples insensés », « nations opiniâtres ». Par cette attaque frontale, La Boétie exprime une colère indignée. Les adjectifs péjoratifs (« misérables », « insensés », « aveugles ») traduisent à la fois la souffrance, la folie et la cécité volontaire.

La suite développe une accumulation d’images concrètes pour représenter les conséquences de la soumission :

« vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ».
L’usage des verbes passifs et des termes liés au vol et à la perte du patrimoine familial renforce l’idée d’une spoliation consentie.
Il dénonce une forme d’habituation à l’aliénation :
« vous regardiez désormais comme un grand bonheur ».
Cette ironie tragique montre à quel point la servitude est intériorisée.

Mouvement II – Un renversement du pouvoir : le tyran ne tient que par ses sujets (de « Et tous ces dégâts » à « vous les emprunte ? »)

Début : « Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais […] de l’ennemi »
Fin : « Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? »

Ce deuxième mouvement repose sur un paradoxe central : le peuple souffre non d’une force extérieure, mais d’un seul homme qu’il a lui-même fabriqué.

Le tyran est démystifié :

« Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps »
Cette phrase souligne sa vulnérabilité et son ressemblance avec n’importe quel homme.

Suit une série de questions rhétoriques en chaîne :

« D’où tire-t-il tous ces yeux […] ? », « Comment a-t-il tant de mains […] ? »
Le style devient plus incisif, presque oratoire. Le vocabulaire du corps humain (« yeux », « mains », « pieds ») illustre l’idée que le pouvoir du tyran est intégralement emprunté aux masses qui l’alimentent.

Mouvement III – La révélation de la complicité des peuples (de « Les pieds dont il foule vos cités » à la fin)

Début : « Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? »
Fin : « les traîtres de vous-mêmes ? »

Ce dernier mouvement pousse la logique de la démonstration jusqu’à l’accusation de complicité morale.

Chaque phrase insiste sur l’origine populaire du pouvoir du tyran :

« A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? »
Le peuple ne se contente pas de céder son pouvoir : il devient l’instrument de sa propre perte.

La dernière accumulation fait culminer l’attaque dans un vocabulaire juridique et criminel :

« les receleurs du larron […] les complices du meurtrier […] les traîtres de vous-mêmes ».
Par ces termes, La Boétie transforme la soumission en crime contre soi-même, et pousse à une prise de conscience douloureuse. L’ultime formule — « traîtres de vous-mêmes » — est d’une violence rhétorique extrême, dénonçant l’auto-trahison.

Par une progression éloquente, La Boétie déconstruit l’illusion du pouvoir absolu du tyran : celui-ci n’existe que par l’abandon de ceux qu’il opprime. Le peuple, non seulement passif, devient actif dans sa propre servitude.
Ce texte est une leçon de lucidité politique, un appel à la reconquête de la liberté par la conscience et la rupture du consentement.

Ouverture : Cette idée d’un pouvoir qui repose sur l’acceptation collective a inspiré plus tard des penseurs comme Rousseau ou des figures de la désobéissance civile comme Thoreau ou Gandhi. Elle garde aujourd’hui toute sa pertinence dans les réflexions contemporaines sur l’autorité, l’aliénation et la manipulation collective.

 

Questions de grammaire 

Question sur la négation
Dans la phrase « Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes », quelle est la nature et la valeur de la négation ?

 Réponse attendue :

Nature de la négation :
Il s’agit d’une négation restrictive, introduite par la locution « ne... que », qui signifie « seulement ».

Analyse :
La Boétie utilise ici cette tournure pour insister sur le fait que le tyran ne possède rien de plus qu’un homme ordinaire. La négation restreint volontairement les qualités du maître à celles d’un homme lambda, soulignant ainsi l’absurdité du pouvoir qu’on lui attribue.

Effet produit :
Cette négation renforce la démystification du tyran : en le ramenant à sa simple humanité, La Boétie souligne l’injustice et l’incohérence de sa domination. Cela sert l’argument central du texte : le pouvoir tyrannique ne repose pas sur la force réelle du tyran, mais sur la soumission des peuples.

Question sur l'interrogation :

Dans la phrase :
« Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? »,
quelle est la nature de cette interrogation et quel est son effet rhétorique ?

 Correction :

Nature de l’interrogation :
Il s’agit d’une interrogation directe totale, introduite par l’adverbe « comment », mais ici détournée de sa fonction initiale pour devenir rhétorique.
Il ne s’agit pas de poser une vraie question : La Boétie ne cherche pas une réponse, il la connaît déjà.

Forme grammaticale :
Elle est construite avec l’inversion du sujet (a-t-il) et l’usage de l’adverbe interrogatif « comment ».

Effet produit :
L’interrogation vise à éveiller la conscience du lecteur : en feignant de s’interroger, La Boétie amène chacun à réaliser l’absurdité de la situation. Elle a donc une fonction persuasive et accusatrice : le tyran ne peut frapper qu’avec les mains qu’on lui donne. Cela renforce le message central : la servitude vient du peuple lui-même.

 

Le commentaire littéraire de l'extrait

L'écrit du bac de français 

 

 

Œuvre précoce et fulgurante, le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie s’élève, au XVIe siècle, contre une forme de mal radical : la soumission volontaire à la tyrannie. L’auteur ne se contente pas de dénoncer le pouvoir du maître : il en cherche les causes du côté du peuple lui-même, interrogeant l’étrange passivité des hommes face à leur propre asservissement. Dans l’extrait proposé, La Boétie adopte une posture particulièrement virulente : il accuse, dénonce, renverse les évidences, dans l’espoir de réveiller un peuple endormi par l’habitude et la peur.

Comment ce texte mobilise-t-il la puissance de la parole pour forcer les peuples à regarder leur propre servitude en face ?

Nous verrons que ce passage constitue un réquisitoire implacable contre l’aveuglement collectif, une démystification du pouvoir tyrannique, et enfin un appel éthique à la responsabilité individuelle et collective.

Un réquisitoire tragique contre l’aveuglement des peuples

L’extrait s’ouvre sur une salve d’interjections qui frappent par leur violence :

« Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! »

L’invocation des peuples à la deuxième personne du pluriel confère à l’adresse une portée universelle, tandis que les qualificatifs — « misérables », « insensés », « aveugles » — tracent un portrait accablant du peuple dominé, victime et complice à la fois. L’auteur semble écartelé entre la pitié et l’indignation, dans une parole à la fois plaintive et cinglante.

Par une série d’images concrètes — le vol des biens, le pillage des champs, la spoliation des maisons — La Boétie donne à la tyrannie une matérialité brutale :

« Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu… »

L’expression « sous vos yeux » accentue l’inconscience de l’assujettissement, et souligne une forme d’aveuglement volontaire. À l’accumulation de pertes matérielles (« champs », « maisons », « vieux meubles ») s’ajoute la dépossession de soi-même, évoquée par une phrase particulièrement glaçante :

« Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. »

La Boétie touche ici au cœur de la servitude : non seulement les biens matériels sont confisqués, mais la liberté, l’identité, la vie même sont aliénées. Pire encore, la population finit par considérer comme un bonheur ce qui n’est qu’une survie mutilée :

« Il semble que vous regardiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. »

Cette formule amère, aux accents ironiques, stigmatise la résignation des peuples, leur capacité à s’adapter au pire jusqu’à en faire une norme. C’est ici que la servitude devient volontaire : non subie mais intégrée et légitimée par ceux qui en sont les victimes.

Le renversement du pouvoir : la tyrannie démasquée

Après avoir fustigé les peuples pour leur aveuglement, La Boétie s’attaque à l’image du maître, pour mieux en révéler la vacuité. Il commence par en souligner l’ordinaire humanité :

« Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps… »

Le vocabulaire du corps réduit la figure du tyran à une incarnation banale, semblable à « le dernier des habitants ». Le pouvoir, dès lors, n’est plus une essence : il est un artifice, un masque que les peuples consentent à porter.

Ce que le tyran possède, il ne le tient pas de lui-même, mais des peuples :

« Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. »

Ce renversement est fondamental : le despote n’existe que par l’énergie qu’on lui cède. La Boétie illustre cette idée par une série de questions rhétoriques saisissantes :

« D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient… Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper… Les pieds dont il foule vos cités… »

Par ces métaphores corporelles, l’auteur suggère que le tyran est un être parasitaire, qui n’a de bras que ceux qu’on lui prête. Ces questions, martelées avec une régularité incantatoire, opèrent comme une déconstruction logique de la tyrannie. Le pouvoir n’est pas une force qui s’impose : c’est une chimère nourrie par la soumission des dominés.

Une prise de conscience radicale : l’homme complice de sa propre perte

Le dernier segment du texte plonge au plus profond de la responsabilité morale du peuple. Ce n’est plus seulement de passivité qu’il s’agit, mais de complicité active :

« Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? »

La formule « être d’intelligence » renvoie ici à la trahison : les dominés coopèrent avec leur oppresseur. La Boétie n’accuse plus seulement l’ignorance, mais la lâcheté, la compromission, la trahison de soi-même. Le propos devient d’une sévérité glaçante :

« Si vous n’étiez les receleurs du larron, les complices du meurtrier, les traîtres de vous-mêmes… »

Les termes sont juridiques, presque judiciaires : receleur, complice, traître. En superposant les registres du vol, du crime et de la trahison, La Boétie élève la servitude à un crime contre soi-même, une défaite de l’éthique individuelle.

Mais cette violence de ton n’est pas gratuite : elle vise à provoquer un électrochoc moral. Car si les peuples sont les artisans de leur asservissement, ils sont aussi, potentiellement, les agents de leur propre libération. Il leur suffit, comme le dira La Boétie un peu plus loin, de « ne plus servir », et la tyrannie tombe d’elle-même, faute de fondations.

Dans ce passage d’une rare puissance rhétorique, La Boétie construit une méditation politique d’une modernité saisissante. En conjuguant la véhémence du style à la rigueur logique de l’analyse, il invite les peuples à regarder en face leur propre responsabilité dans la genèse de la tyrannie. Ce n’est pas l’arbitraire du maître qui fait la servitude, mais le renoncement des hommes à leur liberté. La force du discours ne réside pas dans un appel à la violence, mais dans un élan vers la lucidité, seul chemin vers l’émancipation.

Ouverture : Par cette leçon intemporelle, La Boétie s’inscrit dans la lignée des penseurs de la liberté. De Rousseau à Camus, nombreux seront ceux qui, à sa suite, interrogeront les formes modernes de la servitude, qu’elle soit politique, sociale ou intérieure.

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